Jésus annonce un autre pain, qui nous arrache au cercle de la mort. Un commentaire de Marcel Domergue, jésuite, sur le texte biblique de Jean 6, 24-35.

Jean 6, 24-35

L’oeuvre de Dieu

La foule a mangé du pain et a été rassasiée ; cela lui a suffi. Les gens n’ont pas compris que cela voulait leur donner accès à une autre réalité. Ils veulent se saisir de Jésus pour faire de lui un roi, source de nourriture et de prospérité. Qu’auraient-ils dû comprendre ? Que ce Jésus était présence de Dieu et que l’essentiel était de se lier à lui. On repense aux dix lépreux de Luc 17 : neuf s’enferment dans leur santé recouvrée, un seul revient vers Jésus pour, le remerciant, glorifier Dieu. Établir avec lui un lien de confiance absolue, tel devrait être l’effet du signe. Nous relier à lui et entre nous (par lui) tel est le but, la fin, de tout notre itinéraire. C’est cela qui nourrit l’homme et lui donne la plénitude de la vie à laquelle il aspire, parfois sans le savoir. Telle est la nourriture « qui subsiste jusque dans la vie éternelle ». Pour obtenir ce pain, pas besoin de travail, contrairement au pain de nos tables dont il est question en Genèse 3,19. Ce pain pour une vie inaltérable est donné à la fois par le Fils de l’homme (verset 27 de notre évangile) et par le Père (verset 32). Le seul travail nécessaire pour recevoir ce pain, la seule « oeuvre » à accomplir est de croire en celui que Dieu nous envoie. Ce que nous appelons « salut » n’est pas opéré par l’homme mais par Dieu. Ici, salut signifie sauvetage. L’homme n’y participe que par l’humanité du « Fils de l’homme ». Notre part personnelle est simplement notre accueil par et dans la foi.

Quel est donc ce « pain » ?

Là encore, nous sommes dans les images, les figures, mais gardons- nous de croire que ce sont de simples comparaisons. La nature et ses lois, la vie sociale et les habitudes qu’elle engendre sont le plus souvent des ébauches de la vie au sens plénier, celle que nous sommes appelés à partager avec Dieu, ou des obstacles que nous avons à franchir pour y parvenir. Donc, de l’encore inachevé, pour le meilleur et pour le pire. C’est pourquoi Jésus peut dire, au début des paraboles, que « le Royaume des cieux est semblable… » Tel est le statut du pain dans notre évangile. Le pain nous vient d’ailleurs, nous ne le trouvons pas tout fait en nous, il y faut la terre, des plantes, du travail. Sur nos tables, il est nourriture, c’est-à-dire entretien de la vie. Pour cela, il faut le faire nôtre, le consommer. Jésus nous annonce le don d’un pain que nous recevrons sans autre travail que la foi, un pain qui va dans le sens des bienfaits du pain de nos boulangers, mais d’une manière inouïe. Un pain du ciel, comme la manne, mais la manne ne passait pas la nuit, tandis que le pain nouveau ne périra pas et entretiendra une vie impérissable. Quand nous entendons « pain du ciel », expression difficile à apprécier dans notre culture, comprenons qu’il s’agit de souligner la gratuité d’un don qui nous vient sans travail et sans mérite de notre part, qui ne vient pas non plus de la nature. Ce pain, c’est le Christ lui-même, c’est Dieu qui se donne, qui donne sa vie pour nourrir notre vie.

Le pain qui ne périt pas

Croire ne signifie pas d’abord adhérer à des « vérités », même si elles remplissent nos catéchismes. Croire, c’est avant tout adhérer à quelqu’un. Découverte, quand on a beaucoup entendu parler du Christ, qu’il est vivant et qu’il est là, à ma porte. En moi. Cette adhésion au Christ ne vient pas s’ajouter à d’autres, elle les remplace toutes et les surclasse. Sur quoi comptons-nous fonder notre vie ? Sur la possession de terres, de richesses ? Sur la notoriété et le pouvoir ? Tout cela part de nous-mêmes, va faire un petit tour dehors pour récolter quelque prestige et revient à nous-mêmes : nous ne sortons pas du cercle de la mort. La foi au Christ nous tire hors de nous-mêmes ; elle est foi en l’autre qui nous amène, en fin de compte, à croire, au-delà de toute apparence, en tous les autres, en chacun des autres. Nous ne pouvons accéder à la Vie indestructible que par cet exode, qui nous arrache à nous-mêmes. C’est dans ce « désert » que nous recevons le vrai « pain du ciel », celui qui ne périt pas et nous préserve de périr. Tous les autres « pains », qui ne sont pas pour autant méprisables, ne sont que figures de ce pain-là, allusions à lui. Il faut donc les traverser et les dépasser pour aller vers le pain qui ne périt pas.

Traduisons : c’est en prenant une certaine distance vis-à-vis d’eux que nous pouvons utiliser, en y prenant d’ailleurs quelque plaisir, les « biens » que le monde nous offre. Nous arrêter à eux, les désirer au point de sacrifier les autres pour les obtenir, tel est le mécanisme de l’idolâtrie. Ces biens ne sont que paraboles du « pain qui ne périt pas ».
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