L’image du Dieu punisseur n’a pas totalement disparu de nos mentalités, et l’on entend encore des parents dire à leur enfant coupable d’une sottise : « Le bon Dieu te punira ». Eh bien non ! Dieu ne punit pas, il ne provoque en aucune façon le mal qui nous afflige.

Luc 13,1-9

Dieu est innocent du mal que nous faisons
Le commentaire du P. Marcel Domergue, jésuite

Malgré le livre de Job et bien d’autres passages de la Bible, les Hébreux liaient facilement le malheur au péché. Il est rassurant, quand on est témoin d’une catastrophe, de pouvoir dire des victimes : « Ils ne l’ont pas volé ». L’image du Dieu punisseur n’a pas totalement disparu de nos mentalités, et l’on entend encore des parents dire à leur enfant coupable d’une sottise : « Le bon Dieu te punira ». Eh bien non ! Dieu ne punit pas, il ne provoque en aucune façon le mal qui nous afflige. Genèse 1 nous dit qu’à la fin de la création, « il vit que cela était bon ». Mais, toujours dans le même chapitre, nous lisons que cet univers est confié à l’homme pour qu’il le domine, le gère, l’humanise. Dieu ne pouvait-il pas l’humaniser d’entrée de jeu ? Non, car alors il n’aurait pas été à l’image et ressemblance de Dieu. Pour cela, il faut qu’il soit lui aussi créateur. Seulement voilà : toujours pour être image de Dieu, c’est librement que l’homme fait de bonnes choses ; nous ne pouvions être condamnés, forcés, à « faire le bien ». C’est Pilate, et non pas Dieu, qui a choisi le mal et la mort en faisant massacrer les Galiléens en train d’offrir un sacrifice. C’est son péché qui est à l’origine du drame, non celui des victimes. La volonté de Dieu est de faire vivre et non de faire mourir. Réfractaires à la vérité qui déclare que tout dans le monde est soumis à l’homme, certains se demandent pourquoi Dieu a « permis » cela. Dieu n’a rien permis du tout, ni rien interdit ; il a simplement prescrit l’amour par lequel nous parvenons à sa ressemblance. La justice de Dieu n’est pas ce que nous pensons. Pour nous justifier, il faudra qu’un juste donne sa vie et subisse ainsi le sort du coupable. Injustice excessive à laquelle le Fils, parfaite image du Père, souscrira : Dieu n’a pas voulu se ranger parmi nos meurtriers mais parmi leurs victimes.

L’homme en conflit

Il n’y a pas que les maux dont nous sommes responsables. Il y a aussi les tremblements de terre, les inondations, les accidents. De nos jours, on cherche toujours une défaillance humaine à la source des sinistres. Mais on se trouve souvent devant l’imprévisible et l’impossibilité de désigner des responsables. Alors, Dieu ? La Bible voit les choses autrement. Au chapitre 3 de la Genèse, Dieu constate que le péché de l’homme, sa volonté de décider par lui-même ce qui est bon et ce qui est mauvais, l’a mis dans un conflit multiforme : conflit entre l’homme et la femme (3,16) ; conflit entre l’homme et la nature (3,17-19) ; conflit entre l’homme et l’homme (4,9…). Ces diverses oppositions vont courir à travers toute la Bible, jusqu’au jour où le maître se placera, à la Croix, dans la situation de l’esclave. Alors Paul pourra écrire : Il n’y a plus (du point de vue du statut social) ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, ni juif ni païen… Il n’y a plus que le Christ qui est tout en tous. C’est qu’il y a un autre conflit, plus fondamental, que Genèse 3 symbolise par l’image de l’hostilité entre la descendance de la femme et le serpent, figure du mal. Cette descendance, c’est, à l’horizon, le Christ, le « Fils de l’homme ». Il se fera serpent (Jean 3,14) pour que le mal de l’homme soit crucifié.

L’injustice de Dieu

Mais que veut nous faire comprendre Jésus quand il dit : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » ? Ne revenons-nous pas à l’idée d’une punition divine ? Pas du tout ! Nous convertir signifie : aller vers notre vérité d’hommes, nous humaniser. En dehors de cela, il n’y a pour nous que le néant. Ou nous sommes image et ressemblance de Dieu, ou nous ne sommes rien, promis à la mort. Seul l’amour, par lequel nous ressemblons à Dieu, peut nous faire franchir cette mort. C’est donc à l’amour que nous avons à nous convertir, cet amour qui nous fait surmonter les divisions et les conflits. C’est cet amour qui a conduit le Christ à se soumettre à la mort qui nous attend tous, solidaires que nous sommes, de diverses façons, du mal, l’anti-amour qui empoisonne le monde. Mais voilà, lui est le seul juste, le seul qui n’était pas promis à la mort. Le seul en accord avec la nature et avec ses semblables (c’est là un des sens des guérisons et autres « signes »).
Par lui, crucifié, nous sommes mis sous le régime de l’injustice de Dieu, cette injustice qui fait donner la même somme à l’ouvrier de la dernière heure qu’à celui qui est au travail depuis le matin. Selon la logique de la justice, nous devrions tous « périr de la même manière ». Mais, sur le chemin de notre mort, nous rencontrons le Christ crucifié. Il franchit la mort et, parce qu’il s’est fait solidaire de nous dans notre destin de pécheurs, nous sommes solidaires de lui dans sa résurrection. Du côté de l’homme, il est impossible d’entrer dans le royaume de Dieu. Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu (Luc, 18,27). La patience du vigneron vis-à-vis du sarment stérile est inépuisable.
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