L’entrée messianique de Jésus à Jérusalem appelée communément le jour des Rameaux est au centre des Évangiles. Vous vous rappellerez cette scène : Jésus descend du Mont des Oliviers. Il a devant lui toute la ville de Jérusalem, il a devant lui le Temple dans sa toute splendeur qui éclate au soleil. Et il pleure sur cette ville dont il prévoit la ruine et l’entière destruction.

CÉLÉBRATION DU DIMANCHE DES RAMEAUX
ET DE LA PASSION DU SEIGNEUR  – Année C
Luc 19,28-40

Joie, Croix, Jeunes !
Pape François

1. Jésus entre à Jérusalem. La foule des disciples l’accompagne en fête, les manteaux sont étendus devant lui, on parle des prodiges qu’il a accomplis, un cri de louange s’élève : « Béni soit celui qui vient, lui, notre roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux » (Lc, 19, 38).

Foule, fête, louange, bénédiction, paix : c’est un climat de joie que l’on respire. Jésus a réveillé dans le cœur tant d’espérances surtout chez les gens humbles, simples, pauvres, oubliés, ceux qui ne comptent pas aux yeux du monde. Lui a su comprendre les misères humaines, il a montré le visage de miséricorde de Dieu, il s’est baissé pour guérir le corps et l’âme. Ça, c’est Jésus. Ça, c’est son cœur qui nous regarde tous, qui regarde nos maladies, nos péchés. L’amour de Jésus est grand. Et ainsi il entre dans Jérusalem avec cet amour, et nous regarde tous. C’est une belle scène : pleine de lumière – la lumière de l’amour de Jésus, celui de son cœur –, de joie, de fête.

Au commencement de la Messe nous l’avons répété nous aussi. Nous avons agité nos palmes, nos rameaux d’olivier. Nous aussi nous avons accueilli Jésus ; nous aussi nous avons exprimé notre joie de l’accompagner, de le savoir proche, présent en nous et au milieu de nous, comme un ami, comme un frère, aussi comme un roi, c’est-à-dire comme un phare lumineux de notre vie. Jésus est Dieu, mais il s’est abaissé pour marcher avec nous. Il est notre ami, notre frère. En cela il illumine notre marche. Et ainsi nous l’avons accueilli aujourd’hui. Et c’est la première parole que je voudrais vous dire : JOIE! Ne soyez jamais des hommes et des femmes tristes : un chrétien ne peut jamais l’être ! Ne vous laissez jamais prendre par le découragement ! Notre joie n’est pas une joie qui naît du fait de posséder de nombreuses choses, mais elle naît du fait d’avoir rencontré une Personne : Jésus, qui est parmi nous ; elle naît du fait de savoir qu’avec lui nous ne sommes jamais seuls, même dans les moments difficiles, même quand le chemin de la vie se heurte à des problèmes et à des obstacles qui semblent insurmontables, et il y en a tant ! Et à moment-là vient l’ennemi, vient le diable, si souvent déguisé en ange, et insidieusement nous dit sa parole. Ne l’écoutez pas ! Suivons Jésus ! Nous accompagnons, nous suivons Jésus, mais surtout nous savons que lui nous accompagne et nous met sur ses épaules : ici se trouve notre joie, l’espérance que nous devons porter dans notre monde. Et s’il vous plaît ! ne vous laissez pas voler l’espérance ! Ne vous laissez pas voler l’espérance ! Celle que Jésus nous donne.

2. Deuxième parole. Pourquoi Jésus entre-t-il à Jérusalem, ou peut-être mieux : comment Jésus entre-t-il à Jérusalem ? La foule l’acclame comme Roi. Et lui ne s’oppose pas, il ne la fait pas taire (cf. Lc 19, 39-40). Mais quel type de Roi est Jésus ? Regardons-le : il monte un petit âne, il n’a pas une cour qui le suit, il n’est pas entouré d’une armée symbole de force. Ceux qui l’accompagnent ce sont des gens humbles, simples, qui ont la capacité de voir en Jésus quelque chose de plus ; qui ont le sens de la foi, qui dit : C’est le Sauveur. Jésus n’entre pas dans la Ville sainte pour recevoir les honneurs réservés aux rois terrestres, à qui a le pouvoir, à qui domine ; il entre pour être flagellé, insulté et outragé, comme l’annonce Isaïe dans la première Lecture (cf. Is 50, 6) ; il entre pour recevoir une couronne d’épines, un bâton, un manteau de pourpre, sa royauté sera objet de dérision ; il entre pour monter au Calvaire chargé d’un bois. Et alors voici la deuxième parole : CROIX. Jésus entre à Jérusalem pour mourir sur la Croix. Et c’est justement ici que resplendit son être de Roi selon Dieu : son trône royal est le bois de la Croix ! Je pense à ce que Benoît XVI disait aux Cardinaux : vous êtes des princes, mais d’un Roi crucifié. Le bois de la croix est le trône de Jésus. Jésus prend sur lui… Pourquoi la Croix. Parce Jésus prend sur lui le mal, la saleté, le péché du monde, et aussi notre péché, de nous tous, et il le lave, il le lave avec son sang, avec la miséricorde, avec l’amour de Dieu. Regardons autour de nous : combien de blessures le mal inflige-t-il à l’humanité ! Guerres, violences, conflits économiques qui frappent celui qui est plus faible, soif d’argent, que personne ne peut emporter avec soi, on doit le laisser. Ma grand-mère nous disait à nous enfants : le linceul n’a pas de poches. Amour de l’argent, pouvoir, corruption, divisions, crimes contre la vie humaine et contre la création ! Et aussi – chacun de nous le sait et le reconnaît – nos péchés personnels : les manques d’amour et de respect envers Dieu, envers le prochain et envers la création tout entière. Et sur la croix Jésus sent tout le poids du mal et avec la force de l’amour de Dieu le vainc, le défait dans sa résurrection. C’est le bien que Jésus fait à nous tous sur le trône de la Croix. La croix du Christ embrassée avec amour ne porte pas à la tristesse, mais à la joie, à la joie d’être sauvés et de faire un tout petit peu ce qu’il a fait le jour de sa mort !

3. Aujourd’hui sur cette place il y a beaucoup de jeunes : depuis (34) ans le Dimanche des Rameaux est la Journée de la Jeunesse ! Voici la troisième parole : JEUNES ! Chers jeunes, je vous ai vus dans la procession, quand vous entriez ; je vous imagine à faire la fête autour de Jésus, agitant les rameaux d’olivier ; je vous imagine alors que vous criez son nom et exprimez votre joie d’être avec lui ! Vous avez une part importante dans la fête de la foi ! Vous nous portez la joie de la foi et vous nous dites que nous devons vivre la foi avec un cœur jeune, toujours : un cœur jeune, même à soixante-dix ou quatre-vingts ans ! Cœur jeune ! Avec le Christ, le cœur ne vieillit jamais ! Pourtant nous le savons tous et vous le savez bien que le Roi que nous suivons et qui nous accompagne est très spécial : c’est un Roi qui aime jusqu’à la croix et qui nous enseigne à servir, à aimer. Et vous n’avez pas honte de sa Croix ! Au contraire, vous l’embrassez, parce que vous avez compris que c’est dans le don de soi, dans le don de soi, dans le fait de sortir de soi-même, que se trouve la véritable joie et que par l’amour de Dieu, le Christ, Lui a vaincu le mal ! Vous portez la Croix pèlerine à travers tous les continents, par les routes du monde ! Vous la portez en répondant à l’invitation de Jésus « Allez ! De toutes les nations faites des disciples » (cf. Mt 28, 19). Vous la portez pour dire à tous que sur la croix Jésus a abattu le mur de l’inimitié, qui sépare les hommes et les peuples, et qu’il a apporté la réconciliation et la paix. (…) Les jeunes doivent dire au monde : il est bon de suivre Jésus ; il est bon d’aller avec Jésus ; le message de Jésus est bon ; il est bon de sortir de soi-même, vers les périphéries du monde et de l’existence pour apporter Jésus. Trois paroles : joie, croix, jeunes.

Demandons l’intercession de la Vierge Marie. Elle nous enseigne la joie de la rencontre avec le Christ, l’amour avec lequel nous devons le regarder sous la croix, l’enthousiasme du cœur jeune avec lequel nous devons le suivre en cette Semaine sainte et dans toute notre vie. Ainsi soit-il.

Place Saint-Pierre, 24.3.2013
w2.vatican.va

Les larmes de Jésus
Maurice Zundel

Homélie de Maurice Zundel à Lausanne le dimanche des Rameaux. Evangile : Luc 19 :41-44.

L’entrée messianique de Jésus à Jérusalem appelée communément le jour des Rameaux est au centre des Évangiles. Vous vous rappellerez cette scène : Jésus descend du Mont des Oliviers. Il a devant lui toute la ville de Jérusalem, il a devant lui le Temple dans sa toute splendeur qui éclate au soleil. Et il pleure sur cette ville dont il prévoit la ruine et l’entière destruction.

Ces larmes de Jésus nous touchent d’autant plus que nous sommes ici au jour des Rameaux, ce jour auquel nous associons une sorte de triomphe du Seigneur. Et nous voyons que Jésus n’en est pas dupe ; que, à quelques jours de sa Crucifixion qu’il envisage, car il porte toute l’humanité, toute l’Histoire, tout l’univers, à la lumière de cette Révélation formidable qui va faire de la mort de Dieu une affirmation de sa toute-puissance.

Saint Luc avait déjà rapporté cette immense douleur du Christ devant l’ingratitude de Jérusalem : « Toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble sa couvée sous ses ailes… et vous n’avez pas voulu ! » (Lc 13, 34). Jésus à pleuré sur Jérusalem dans l’Évangile de ce jour (Lc 19, 41) et ses larmes sont une profonde révélation sur: « Qui est Dieu ? » Jésus a pleuré sur Jérusalem !

Mais comment Dieu peut-il pleurer et qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que l’on ne nous rabat pas les oreilles de la toute-puissance de Dieu ? Est-ce que Dieu ne pouvait pas transformer cette ville, est-ce qu’il ne pouvait pas l’obliger à le reconnaître ? Est-ce que sa toute-puissance n’était pas capable de faire un miracle, de ressusciter « les vivants et les morts » ?… j’entends : les précipices de l’ombre de la mort spirituelle dans laquelle tous étaient plongés.

Eh bien, non justement, ce que Jésus vient révéler au monde, c’est l’échec de Dieu, c’est-à-dire que Dieu se révèle en Jésus-Christ comme l’Amour qui n’est qu’amour. Et que peut l’amour ? Aimer, un point, c’est tout ! Et quand l’amour ne rencontre pas l’amour, quand il cherche et se brise, rencontre un refus obstiné d’amour, il ne peut être, par excellence et Dieu, Dieu précisément meurt de tous nos refus d’amour et c’est ce que signifie dans l’Histoire, ce que dit dans l’Histoire la mort de Jésus-Christ.

L’Évangile en ce jour est comme un sursis, comme une progression toujours plus tragique vers la défaite et vers l’échec. C’est par-là que Jésus vient nous délivrer d’un dieu qui serait uniquement pour nous une limite et un scandale, d’un dieu qui voudrait nous plier à ses lois d’une manière arbitraire. Jésus nous a révélé dans sa personne, dans son Agonie, dans sa mort, dans son immense Amour, il nous a révélé un Dieu intérieur à nous-même et qui ne peut que nous aimer, en nous attendant infiniment, en nous attendant éternellement, en nous attendant au plus intime de nous-même.

Si Dieu n’est pas un autre dieu, alors tous nos rapports avec lui sont changés – puisque sa toute-puissance n’est plus que la toute-puissance de l’Amour, qui est par là même illimitée – par les refus d’amour que nous venons lui opposer. Alors le salut du monde se comprend mille fois mieux. Il serait scandaleux que Dieu soit quelqu’un qui jouisse de son bonheur, qui soit dans une gloire non troublée, en qui tout se passe merveilleusement et que le monde soit dans la situation où il se trouve.

Il est évident que la vision d’aujourd’hui est la vision de saint Paul voyant dans ce monde où nous sommes, un monde embryonnaire, un monde en sursis, un monde incomplet, un monde qui aspire à être, un monde qui est dans les douleurs de l’enfantement. Et, dans ces douleurs, il y a d’abord et au premier plan, la douleur de Dieu (Rm 8, 22).

Si Dieu n’était pas engagé dans notre destinée, engagé dans notre Histoire jusqu’à la mort de la Croix, il serait un Dieu incompréhensible et scandaleux. Jésus nous a délivrés, par bonheur, de ce scandale. Jésus a ouvert les yeux de notre cœur. Jésus inscrit dans le plus profond de notre âme ce visage d’un Dieu silencieux, d’un Dieu incapable de nous contraindre, d’un Dieu qui se remet entre nos mains, d’un Dieu qui nous fait un crédit insensé. Un Dieu, finalement, qui ne peut entrer dans notre Histoire que par le consentement de notre amour.

Bien sûr que cela reste pour nous des mots. Nous sommes tellement loin, tellement loin de la réalité, tellement loin de nous-même et tellement loin de Dieu, que les larmes de Jésus nous paraissent comme une espèce d’anecdote. Nous ne voyons pas qu’elles sont réellement les larmes de Dieu, nous ne voyons pas que, elles constituent la plus haute Révélation d’un Amour viscéral, d’un Amour qui nous est confié, d’un Amour totalement remis entre nos mains.

Il faut attendre saint François pour nous en convaincre autrement que par des mots lointains et inefficaces ; car saint François, justement, a tellement compris les larmes du Christ, il a tellement compris la douleur de Dieu, qu’il a pleuré vingt ans sur la Passion du Christ jusqu’à en perdre la vue. Voilà un témoignage irréfutable et magnifique, voilà un chrétien qui est allé jusqu’au fond de la Révélation du Christ, voilà quelqu’un pour qui les larmes de Jésus étaient la plus haute Révélation de Dieu.

Il reste à nous ouvrir à ces appels du Seigneur, à prendre conscience que, sans l’aimer, il est en danger continuel de notre fait : il suffit que nous nous fermions aux autres, il suffit que nous soyons complices de notre égoïsme, il suffit que nous soyons distraits volontairement de sa Présence pour que, il soit comme inexistant.

Complètement inutile de parler de Dieu, si nous ne vivons pas de Dieu ! Et si nous en vivons, encore plus inutile d’en parler ! Car justement, toute ma vie suffirait si elle était authentique : elle suffirait comme un témoignage irrécusable.

Mais comment révéler Dieu sinon comme un enfant dans le sillage de Jésus ? Comment révéler Dieu sinon en respirant en nous et dans les autres cette douleur divine qui se traduit dans les pleurs de Jésus ? Un chrétien, ce serait celui qui sentirait à chaque instant que Dieu est en péril et qui, à chaque instant, se porterait au secours de Dieu, en lui et dans les autres et qui s’efforcerait, justement, en dépassant ses propres limites, de faire de sa vie un espace pour recueillir l’éternel Amour. Un enfant peut comprendre cela, un enfant peut comprendre les larmes de Jésus, ces larmes d’amour, ces larmes d’infinie tendresse qui sollicitent notre amour.

Vous vous rappelez ce petit garçon dans le récit du Père George (Le Maquis de Dieu, Editions du Rocher, Monaco, 1952 – p. 175). Ce petit garçon à Moscou sous Staline, alors que les lois inscrites dans la Constitution interdisent l’instruction religieuse sinon dans la famille. Le père George qui se trouve là sous l’habit d’un médecin militaire, le Père George interroge l’un de ces petits garçons qu’il rencontre dans la sacristie d’une église : « Qu’est-ce que tu fais là ? Et qui t’a appris la religion ? – Un des camarades. – Et lui, qui lui a appris, qui lui en a parlé ? – Un de ses camarades, et ce camarade de sa grand-mère. Et voilà, ajoute le petit garçon, nous avons tous pris l’engagement, j’ai cinq doigts à ma main droite, nous avons pris tous l’engagement d’instruire à notre tour, cinq de nos camarades. – Mais, dit le père George, tu n’as pas peur de la police ? Je n’ai pas peur de la police, dit le petit garçon, – mais elle peut te tuer ! – Elle ne pourra jamais tuer ce Christ que je veux laisser vivre en moi. »

En tout homme, il y a un Christ, un Christ qui veut vivre en nous, il y a un Dieu caché au fond de nos cœurs, qui est la lumière du monde et son espérance; encore faut-il que nous le laissions vivre. Et ces larmes de Jésus doivent nous indiquer aujourd’hui devant Jérusalem qui refuse de l’accueillir, devant le monde, ensevelie dans ses ténèbres, dans cet univers de larmes et de sang, que Dieu est la première victime, Dieu nous prend pour passion, Dieu est au cœur de tous les malheurs, par un amour toujours offert et incapable de jamais s’imposer.

Et c’est pourquoi nous pouvons, si vous le voulez, nous pouvons résumer, nous pouvons envisager tout l’Évangile dans la perspective, dans la vision de ces larmes du Seigneur, pleurant sur Jérusalem. Et, si nous avons un cœur sensible, il y aura quelque chose de changé en nous. Si Dieu est ce Dieu-là, s’il est l’Amour qui n’est qu’Amour, s’il ne peut vivre que sans s’imposer ni nous contraindre, alors il est remis dans notre main, alors il nous a été confié et c’est à nous de nous porter à sa rencontre pour inscrire dans l’Histoire cette Présence après laquelle toute la terre gémit. C’est bien ce qu’écrit le poète d’une façon si profonde, Coventry Patmore lorsqu’il dit : « Qui est l’homme ? Qui est l’homme ? » Et alors il donne cette réponse qui traduit admirablement le mystère des larmes de Jésus-Christ : « Qui est l’homme ? C’est celui qui tient Dieu dans sa main ! »

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