Comme beaucoup en ce temps-là, les disciples de Jésus attendaient un nouveau leader. Un vrai chef qui rendrait enfin à son peuple sa splendeur d’autrefois. Humilié depuis des siècles par l’occupation étrangère, le pays bouillonnait d’impatience. Et si Jésus devenait le rassembleur de ce nouvel Israël ? [...]

Avocat sans frontière
Jean 14,23-29

Comme beaucoup en ce temps-là, les disciples de Jésus attendaient un nouveau leader. Un vrai chef qui rendrait enfin à son peuple sa splendeur d’autrefois. Humilié depuis des siècles par l’occupation étrangère, le pays bouillonnait d’impatience. Et si Jésus devenait le rassembleur de ce nouvel Israël ? Certains l’ont pensé et l’ont même espéré, y compris parmi ses tout proches. Mais lui ne veut pas ce chemin-là. Son propos est moins de changer la politique que de changer la religion et de rendre Dieu bien plus proche. C’est alors que le vent tourne et que le ciel s’obscurcit. Et comme les nuages s’amoncellent, Jésus prépare délicatement les siens à son départ : « Je m’en vais », leur dit-il, « et je reviens ».

Partir, ce n’est pas abandonner. Il ne les laisse pas dans l’impasse. Au contraire. Partir ouvre une brèche et crée un espace. Partir engage à prendre le relais et à poursuivre l’histoire. Partir pousse à la nouveauté et à l’imagination. Souvent, lorsque quelqu’un part, on lui offre un cadeau d’adieu. Ici, à l’inverse, Jésus donne un présent à ceux qui restent : la paix. Pas n’importe laquelle. Pas seulement la paix « à la manière du monde », le bien-être, la santé, la sécurité… Pas même la paix à la manière sémite, la shalom, qui signifie un état de plénitude et d’accomplissement. Mais une troisième paix, plus secrète et plus intérieure. Une paix capable de traverser les terribles turbulences de l’actualité. En donnant « sa » paix, Jésus ne promet pas la tranquillité à ses disciples mais il leur fait un don d’abandon à Dieu. Dans cet abandon-là, s’ils y consentent, ils connaîtront la joie.

Ainsi il s’en va. Oui, il s’en va, « mais pas sa respiration » écrit Jean Grosjean. Il s’en va mais un nouveau Paraclet prendra le relais.

Le Paraclet, c’est le défenseur, du grec parakletos, celui qui est appelé auprès d’un accusé lors d’un procès. L’avocat de la défense, que saint Jean est seul à évoquer et dont il parle à plusieurs reprises.

Le Paraclet apparaît aussi, dans un second sens, comme le Consolateur, le Secourant, le Réconfortant, celui qui exhorte et stimule les disciples quand les vents sont contraires.

Mais le premier Paraclet, c’est Jésus lui-même, bien entendu, lui, l’avocat de la femme adultère, le conseil de Marie-Madeleine, le défenseur de l’Enfant Prodigue. Dieu sait qu’il a été Paraclet en Palestine ! Et qu’il n’hésitait pas à monter à la barre du Temple ou de la synagogue pour plaider la cause des délaissés et des déshérités.

Mais l’avocat nazaréen sait bien qu’il doit nommer un successeur qui prendra le relais. Alors il plaide auprès du Père pour qu’il envoie, de sa part, un nouveau Défenseur au barreau de l’Évangile : le Souffle sacré. Ainsi, la parole nazaréenne qui les avait tant bouleversés ne va pas partir avec lui. Le nouvel Avocat est chargé de souffler sur le texte pour que les disciples s’en souviennent et continuent à en vivre.

S’attacher au Messie aujourd’hui, l’aimer, garder sa parole… c’est entrer dans son texte, pénétrer son récit, en faire cette humble demeure palestinienne où Père et Fils viennent au rendez-vous. Mais pour cela, il faut pouvoir compter sur l’assistance du Souffle sacré. Sa respiration inspire et jette un pont entre le temps de l’oralité et celui de l’écriture. Et c’est lui, ce nouvel Avocat sans frontières, qui va se tenir à nos côtés sous toutes nos latitudes. Et s’il arrive, comme il se peut, que nous soyons appelés au tribunal quand nous tentons d’actualiser le récit, il nous dira à son tour : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. » Et son souffle sacré nous encouragera plus encore à rafraîchir le texte.

Gabriel Ringlet, prêtre et écrivain
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