Lundi 22 octobre 2018
«À l’ensemble des réflexions que j’avais eu l’idée de proposer et de partager, il en manque une, peut-être la plus difficile, car elle se réfère à la dimension centrale de notre charisme: l’évangélisation. Au fur et à mesure que la difficulté grandissait face au sujet, je ressentais cependant la nécessité d’aller de l’avant, surtout à cause de l’importance du sujet pour l’avenir de notre institut. Car dans évangélisation on joue notre avenir et notre place au sein de l’église et de la société où nous oeuvrons.» P. Manuel Augusto Lopes Ferreira mccj.

Je commence cette réflexion au moment même où se je suis en train de repartir pour la mission pour y vivre la dimension qui a été, est et sera toujours la caractéristique de la vocation missionnaire : sortir de son propre pays, culture et église pour vivre et annoncer l’évangile ailleurs et chez d’autres peuples. Je pense aussitôt à saint Paul qui avait quitté le monde du judaïsme où il avait grandi pour porter l’évangile au monde gréco-romain. Je pense aussi, avec émotion, à Daniel Comboni qui a quitté son église de Vérone pour porter l’évangile à l’Afrique noire et la faire ainsi rentrer dans le giron de église, vivant à plusieurs reprises et avec grande intensité cette sortie qui de son temps était sans aucun doute plus dramatique et exigeante que de nos jours. J’ai en mémoire avec nostalgie mon premier départ, à mes trente ans. Maintenant, à la cinquantaine, mon allure s’est faite plus difficile et incertaine.

Les paroles et la méthode

Face au thème de l’évangélisation deux difficultés paraissent aussitôt.

La première se réfère aux termes que nous employons et à leur signification : qu’entendons-nous par évangélisation ? Probablement chaque combonien a une opinion là-dessus. Ce qui ne va pas sans compliquer la réflexion, mais je n’entends aucunement unifier cette variété. Je prends mon départ de la conception de base d’évangélisation : porter l’évangile aux peuples comme une graine qui fructifie en communautés ecclésiales et en des processus de transformation sociale selon les valeurs du Règne. Choisissant cette idée d’évangélisation, je me sens en parfaite communion avec Paul, avec Comboni, avec tous les missionnaires qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire de l’église et en ligne également avec le magistère de l’église.

La deuxième difficulté se situe au niveau de la méthode. C’est là une question qui en ces derniers temps nous engage beaucoup (cf. la Ratio Missionis en train de s’élaborer), puisque nous sommes intéressés tout à fait à la recherche d’une méthodologie combonienne. D’un coté, on ressent le besoin idyllique presque d’une méthodologie qui nous identifie et nous unisse. De l’autre, nous nous trouvons de fait dans une grande diversité de situations sociales et ecclésiales avec des sensibilités et des exigences propres. C’est pourquoi la recherche d’une méthode unique semble inutile. A mon sens, l’identité et l’unité ne se construisent pas en partant de la méthode mais de la vision théologique qui est le fondement de notre mission, de la mystique qui lui donne vie et passion, de la spiritualité qui l’alimente, de la fraternité qui la soutient. Les éléments de ce qu’on appelle la méthodologie missionnaire doivent, sans aucun doute, être proposés de manière permanente, toutefois ceux qui assurent l’identité et l’unité du charisme dans le temps sont, selon moi, d’ordre théologique et spirituel.

Le parcours du passé

Les années se succédant aux années, la conception et la méthodologie de l’évangélisation ont subi des altérations, tout en gardant des éléments caractéristiques : la présence parmi les non chrétiens, l’annonce de évangile, l’édification de l’église locale, le témoignage de vie et la pro­motion humaine. Il n’y a pas de doute que pour les instituts ad gentes l’évangélisation est toujours liée à la première annonce et à la catéchèse, aux sacrements de l’initiation chrétienne (baptême et confirmation), à la formation de communautés (eucharistie et ministères) et à la transformation sociale. Toutefois, grâce au temps et à la croissance des églises locales, la conception et la pratique de l’évangélisation ont changé : la première annonce et la catéchèse sont passées à l’extérieur ; l’accompagnement des communautés chrétiennes (service pastoral dans le cadre paroissial) et l’engagement pour la transformation sociale (surtout en Afrique et en Amérique) sont revenus au centre. Ce déplacement a fait des missionnaires de simples remplaçants du clergé local (les instituts missionnaires assurent des curés de bonne qualité et à moindre frais pour les évêques), prisonniers des problèmes sociaux provoqués par les croissantes injustices et exclusions, éloignés de la méthodologie kérygmatique, incapables d’enrichir les églises locales par la dimension ad gentes.

La voie sans issue du présent

Au début du XXI siècle cette situation semble de plus en plus insoutenable. Puisque les instituts missionnaires souffrent d’une croissante diminution en personnel (les vocations étant en chute libre dans les églises du nord) et que les églises du sud disposent d’un clergé florissant en nombre et en qualité (tant il et vrai qu’on peut se permettre de l’exporter en Europe et aux États Unis), il faut se demander si une évangélisation trop liée au modèle de la paroisse aurait encore un avenir pour les instituts ad gentes.

Pour ce qui concerne l’œuvre de transformation sociale ensuite, je suis conscient (ainsi que tous les missionnaires de ma génération) qu’elle était partie intégrante de l’évangélisation, surtout après Vatican II, avec Populorum Progressio et Evangelii Nuntiandi de Paul VI et les autres documents plus significatifs du magistère de la deuxième moitie du XX siècle. Mais je suis conscient aussi que la synthèse atteinte dans ces documents et dans l’action missionnaire conséquente est en train de connaître une phase de révision. L’optimisme et la mystique qui ont marqué cette phase s’estompent. Dans l’ecclésiologie, d’autres dimensions de la mission de l’église ont surgi et ont gagné de l’importance. Au niveau social et politique de nouveaux éléments déterminants ont paru, tant aux Amériques qu’en Afrique : les acteurs et les agents de la transformation sociale (organisations non gouvernementales et d’autres) se sont multipliés, et ont grandi également la conscience, la responsabilité et la capacité d’intervention des gouvernements. Par conséquent, il faut se demander si une évangélisation trop identifiée à la transformation sociale, aurait encore un avenir pour le missionnaire.

Enfin, alors que les instituts ad gentes ont laissé tomber un petit peu l’annonce de l’évangile pour se mettre dans le social, d’autres mouvements d’église ont fait l’expérience et mis à profit des méthodologies de présence, dialogue, annonce et témoignage plus conformes à l’évangélisation. Cela aussi doit nous donner à réfléchir.

Les questions nodales

Le fait que dans le passé les instituts missionnaires ont été significatifs ne suffit pas : le défi c’est qu’il faut l’être aujourd’hui encore et dans l’avenir aussi. Il est également important reconnaître qu’il ne suffit pas d’être significatif au niveau social : il faut l’être aussi au niveau ecclésial. Voici la question qui exige une réponse urgente : quels pas faut-il faire pour employer nos ressources en personnel et en moyens dans des initiatives missionnaires nouvelles et significatives ?

Il faut reconnaître que dans plusieurs églises locales d’Afrique et des Amériques notre tâche missionnaire semble parachevée : il y a des communautés qui cheminent toutes seules, clergé et hiérarchie locale étant déjà établis, des églises avec des ressources suffisantes pour grandir et auxquelles revient de fait le devoir d’évangéliser leur propre territoire.

Tel ou tel pourra dire que la population n’est pas encore totalement christianisée, que la situation sociale est scandaleuse et que, partant, il y a encore beaucoup à faire comme travail pastoral. Mais où est-ce que les populations sont totalement chrétiennes ? Où est-ce qu’il n’y aurait pas une transformation sociale à poursuivre selon l’évangile ? Où est-ce que les églises locales et les laïcs en particulier ne sont pas appelés à répondre à ces défis et à être protagonistes de ces changements ? En Europe ? En Amérique ?

Pour autant que cela puisse déplaire, il semble que les instituts missionnaires sont en train de perdre la capacité de se faire présents dans de nouvelles situations missionnaires, parmi des peuples qui ne connaissent pas encore l’évangile et où le témoignage et la première annonce du kérygme chrétien auraient une signification pleine et urgente. Je pense, par exemple, aux banlieues des grandes villes soit en Afrique soit en Amérique et en Europe. Je pense aux pays islamiques, aux peuples et aux cultures de l’Asie. Cela disant je veux tout simplement présenter des situations et non pas attribuer des responsabilités. Il est clair en effet que les causes sont complexes et qu’il y a des situations objectivement contraires sur lesquelles nous ne pouvons exercer aucune influence, comme par exemple évolution actuelle du monde islamique. Mais il est clair que les instituts missionnaires ne doivent pas s’enliser dans leurs propres nécessités ou dans celles des églises locales par eux-mêmes fondées. Les ressources disponibles pour de nouvelles initiatives sont sans doute limitées, mais prendre conscience de cette situation est déjà un pas en avant vers des solutions plus positives.

Je me rends compte que ce sont là des questions qui touchent la conscience la plus profonde de notre identité. Je pense à Daniel Comboni et je vois que ce sont des questions loin de lui et de son temps. Alors on était vraiment préoccupé de sauver les gens, aujourd’hui par contre, nous savons qu’elles peuvent être sauvées aussi dans les religions non chrétiennes (y compris celles de l’Afrique), si on les suit en rectitude. Dès lors, si l’urgence du salut s’est amoindrie, quelles motivations avons-nous pour notre évangélisation aujourd’hui ? Dans une Afrique à la dérive (de nos jours sans doute encore) Comboni a été le bon samaritain de la Nigritie, alors que personne ne le faisait. Mais comment être aujourd’hui le bon samaritain sans prendre la place des autres, sans tomber dans l’illusion de résoudre les problèmes économiques et sociaux des « Nigritie » de notre temps (tâche qui dépasse sans doute la mission de l’église dans un monde globalisé où nombreux suivent le modèle dominant du développement sans le soumettre à la critique de la foi) ?!

Serait-ce notre mission que de promouvoir le développement économique, social et culturel, comme cela a été de par le passé pour des raisons évidentes et par nécessité ? Aujourd’hui des peuples nombreux, surtout en Asie, atteignent le développement dans tous les domaines, en se passant du christianisme ! Notre tâche ne serait-ce pas alors de vivre l’évangile avec les peuples afin de leur offrir une vision et une mystique qui soutiennent les chrétiens dans la lutte et les non chrétiens dans leur effort en vue d’une société ouverte et œcuménique ? Je suis convaincu que saint Daniel Comboni et nous illustres prédécesseurs comprennent ces questions et nous poussent par leur exemple à rechercher de nouvelles réponses.

Un retour au charisme

À partir de ce que nous venons de dire, il est évident que l’avenir impose aux instituts ad gentes un retour au charisme exclusivement missionnaire. Et cela sur quatre fronts : la Parole, le Témoignage, la Communauté et la Ministérialité.

Tout d’abord, un retour à la Parole. L’annonce de évangile, la proclamation du kérygme chrétien (le salut dans le Christ), a été toujours inhérente à l’identité de la mission. Dans l’histoire de notre institut et des initiatives les plus belles, nous avons des exemples éloquents attestant cette place centrale de la parole : étude des langues locales, traduction des écritures, temps et ressources donnés à la catéchèse et à la formation des catéchistes. L’annonce et la catéchèse occupaient le centre des méthodologies missionnaires adressées aux adultes, aux jeunes et aux enfants, par des rencontres prolongées et fréquentes avec les gens (des « safari » continus sur tout le territoire). Les temps changent et les méthodes doivent se renouveler, mais la Parole doit retrouver la même importance centrale dans tous les secteurs de notre activité : évangélisation, animation missionnaire, formation, transformation sociale… Le problème doit être pris de face depuis le début, depuis la formation de base : on devrait initier nos candidats à la mission dans un cadre plus kérygmatique. L’étude de la théologie et des méthodologies missionnaires devrait être axée davantage sur les ministères qui ont affaire à la Parole (cf. la doctrine et la pratique de saint Paul).

Deuxièmement, un retour au Témoignage, à la qualité de notre vie chrétienne qui à elle seule est annonce, élément d’attraction et de convocation : pour nous les comboniens il s’agit de revenir aux « saints et capables » que Comboni voulait pour ses missionnaires. En cela je me sens en affinité avec le récent magistère de l’église. Depuis Paul VI jusqu’à Jean-Paul II, la dimension du témoignage est mise en évidence de manière permanente. Paul VI nous rappelle que le monde moderne a plus besoin de témoins que de maîtres (EN 41). Et Jean-Paul II nous propose le défi de penser et de vivre notre mission en ayant comme point de départ le témoignage et la sainteté chrétienne (le vrai missionnaire c’est le saint).

Troisièmement, un retour à la Communauté, à la mission pensée et vécue en communion et en fraternité. Au niveau ecclésial Jean-Paul II a appuyé ce retour parlant de l’église et de la mission comme « école de communion ». Pour nous les comboniens la dimension de la communion précède sans doute la transformation de l’institut en congrégation religieuse. Notre fraternité s’inscrit et est requise par la mission, selon l’entendement et l’enseignement du fondateur. C’est pourquoi nous devons l’invoquer et œuvrer en vue d’un retour à la communauté sans peur d’être mal interprétés : Comboni a voulu que nous soyons un cénacle d’apôtres pour la Nigritie… où règne la charité. A la lumière de tout cela, le mode de vie de celui qui dans l’institut voit la communauté comme simple moyen et occasion à la mission conçue de façon tout à fait personnelle comme style et comme moyens n’a aucun sens. Et cela parce qu’aujourd’hui il y a plusieurs manières pour réaliser des projets individuels dans les territoires de mission. Le retour à la communauté est important parce que, d’un côté elle permet de renouveler le sens d’appartenance et d’identité et de l’autre elle crée le cadre où la mission du futur doit être vécue : la communion avec les églises locales et la synergie avec les sociétés civiles. Cadre qui demande une capacité grande de vivre et d’agir en koinonie et en collaboration.

Enfin, le retour à la ministérialité. Il s’agit de penser la mission dans le cadre d’un pluralisme de ministères donnant une importance particulière aux ministères non ordonnés (les frères religieux, les laïcs, la femme…). Et cela en ligne avec notre fondateur qui avait su valoriser prêtres et laïcs et avait également mis en évidence la femme africaine en particulier et la missionnaire consacrée comme possible protagonistes. Le sens ecclésial des instituts ad gentes dépend de leur capacité à voir et à situer leur mission dans le contexte d’une grande variété de ministères et de charismes, car c’est la une marque sans doute de église du futur.

De nouveaux parcours

Si l’homme moderne et la société contemporaine, ainsi que le souligne le pape Jean-Paul II, sont le chemin de l’église et de l’évangile, la route des instituts ad gentes ce sont les peuples qui ne connaissent pas encore l’évangile et où l’église est absente. Parmi eux, la priorité sera pour les exclus, pour les groupes humains plus pauvres et minoritaires, qui vivent dans la marginalisation du monde globalisé. Pour nous les comboniens la préférence seront les « Nigritie ». Ce sont elles qui aujourd’hui interpellent les missionnaires ad gentes, comme autrefois elles interpellaient Paul : « Passe en Macédoine et viens nous aider » (Ac 16,9).

Dans ces espaces de mission quels itinéraires significatifs s’ouvrent pour le futur des instituts ad gentes ? Outre les ministères de la parole dont nous venons de parler, je pense que de nouveaux chemins sont en train de s’ouvrir dans le domaine du dialogue interreligieux. Ce n’est pas facile d’évoquer ce sujet parmi nous les comboniens : nous sommes des personnes faites pour l’action, pour des attitudes de protagonistes qui ont du mal à accepter les temps longs et les routes difficiles du dialogue, entendu comme dialogue de vie et aussi dialogue de foi. Nous croyons que cette tâche concerne d’autres mieux préparés que nous (les sœurs comboniennes dans le chapitre 2004 ont défini le dialogue et la réconciliation comme des défis de leur mission aujourd’hui !). Mais devant le surgissement des fondamentalismes, de l’intolérance et de la manipulation de la religion à des fins politiques, nous devons nous rendre compte de l’importance du dialogue, de la connaissance réciproque et des attitudes de respect mutuel que la communication sociale, quoique globalisée ne saura jamais colmater. Dans l’histoire des instituts missionnaires il y a une tradition précieuse de contacts avec les peuples non chrétiens : eux dans passé ont été en mesure de construire des ponts à travers la connaissance et la mise en valeur de leur langue, culture et leurs croyances religieuses. Eux donc, plus que quiconque, sont appelés dans l’église à vivre la mission universelle comme présence et point de rencontre entre cultures et religions.

Si nous prenons en considération l’évolution de notre institut ces dernières années, nous ne voyons aucun progrès dans le domaine du dialogue religieux. Nous portons de l’avant, non pas sans peine, l’initiative de « Dar Comboni » au Caire. Mais dans les autres provinces de l’Afrique, des initiatives significatives de dialogue avec l’Islam n’ont jamais pu prendre de l’essor. Même sort pour les belles idées du Chapitre sur le dialogue avec les religions traditionnelles en Afrique et avec les religions « afro » aux Amériques. L’ouverture à l’Asie, le continent aux grandes religions non chrétiennes, a créé un climat favorable à un progrès dans cette direction, mais la résistance aux missions en Asie, qui s’est clairement et de manière surprenante manifestée au dernier Chapitre, montre comment nous sommes bien loin de voir dans le dialogue religieux le chemin de la mission du futur.

Le domaine le plus familier au génie combonien et à la pratique missionnaire qui s’est affirmée ces dernières années, est sans doute celui de justice et paix et intégrité de la création. C’est là un chemin qui aura toujours un sens pour les instituts ad gentessurtout en Afrique. Mais ça aussi a un besoin urgent d’être révisé pour ce qui concerne les attitudes et les méthodes.

L’implication de tous les missionnaires dans la transformation sociale requiert, de plus en plus, un plus grand respect de la diversité des charismes dans l’église et la reconnaissance des fonctions propres des laïcs en général et des femmes en particulier. Sans cette révision, les missionnaires ad gentes, comboniens y compris, seront bientôt dépassés (ne le seraient-ils pas déjà ?) par les nouvelles réalités des églises locales et par les nouveaux protagonistes de la société civile, qui à long terme mettront les missionnaires et leurs méthodes sur la touche comme obsolètes. En ce sens le Chapitre de 1997 avait laissé des orientations plus claires et concrètes que le Chapitre de 2003.

Nouveau rythme, nouvelles directions

Il y aura nouveauté non seulement dans les chemins de la mission mais aussi dans le rythme de l’action évangélisatrice.

La question d’un rythme fiable n’est pas une pure formalité, comme bon nombre, fermant les yeux face à une évidence qui s’impose, ont tendance à croire. Il n’est plus possible pour les instituts ad gentes maintenir leur rythme traditionnel d’activité, rythme intense fondé sur une mystique forte et sur des ressources considérables en personnel et en moyens économiques. Aujourd’hui les vocations ad gentes viennent pour une grande partie des jeunes églises du sud, pauvres et sans une tradition missionnaire. Il est naturel donc que l’on revoie les rythmes hérités du passé et que l’on révise de nombreuses initiatives parce qu’elles ne pourront pas avoir une continuité dans le futur. C’est ce discernement qui sous-tend la question d’une révision des engagements, révision qui n’a pas encore fait de grands progrès, peut être à cause du manque de critères clairs et qu’on est encore liés affectivement à ce que nous avons fait et sommes en train de faire, rythmes y compris. Nous sommes réticents au fait de lever notre regard vers l’avenir, nous ne sommes pas intéressés à la mission après nous… même si des initiatives sont déjà tombées ! Un sens de responsabilité historique devrait nous aider à être davantage préoccupés pour la mission de l’avenir et donc trouver, de manière programmée et créative, le rythme que nous pourrons aisément soutenir, eu égard aux personnes et aux ressources sur lesquelles nous pourrons compter.

Dans la vision qui prévaut dans les instituts missionnaires l’évangélisation est pensée encore comme mouvement (de personnes et de moyens et d’initiatives) du nord vers le sud. Mais avant qu’une génération ne passe, cette tendance sera invertie. Alors ça n’a pas de sens de continuer à faire des planifications de la mission comme mouvement du nord vers le sud. Mieux vaut de commencer à la planifier du sud au sud et éventuellement du sud au nord. Ce changement de direction, avec celui du rythme dont nous venons de parler, sera pour les instituts ad gentes un changement très significatif au niveau de vision, de sensibilité et de mystique.

Le passé et l’avenir

L’hostilité manifestée au dernier Chapitre, envers l’ouverture en Asie est expressive de la tension que nous vivons entre passé et futur. L’Afrique aujourd’hui signifie le passé, la conclusion d’une histoire merveilleuse de notre charisme en action dans le continent noir. L’Asie aujourd’hui signifie l’avenir, le kairos de l’Esprit. L’ouverture à l’Asie n’est pas importante et significative seulement pour les confrères qui y ont été envoyés. Elle l’est pour tout l’institut et pour ses futurs chemins de mission. Cette ouverture nous offre la possibilité d’une mission plus centrée sur l’évangile, plus attentive à la Parole et au témoignage, plus identifiée avec les valeurs spirituelles (la contemplation). Elle nous rappelle à une mission plus sollicitée par le défi du dialogue religieux, moins dépendante de la transformation sociale et plus axée sur la personne, sur le génie religieux et culturel des peuples. Notre institut, petit qu’il est, n’a pas grande chose à offrir à l’Asie (qu’on accuse de voler du personnel à la mission en Afrique). Mais là n’est pas le problème. Si nous avons peu nous donnerons peu, mais donnons-le totalement, sans réserve. Tout l’institut doit être présent dans le peu que nous donnons. Car c’est là le défi : que tout l’institut vive cette ouverture, cette recherche de voies nouvelles, cet effort d’identification toujours plus avec la mission de toujours (depuis l’Afrique, aux Amériques et à l’Asie) : la mission de l’évangile que nous sommes appelés à vivre et à annoncer selon l’esprit et l’exemple fort de Comboni témoin excellent de sainteté et maître de mission pour nous et pour l’église, pour aujourd’hui et pour tous les temps.

[P. Manuel Augusto Lopes Ferreira – Combonianum]