La voix qui s’adresse aux témoins de la transfiguration prononce les mêmes mots que la voix venue du ciel au Baptême. Dans les deux cas, il s’agit d’une déclaration d’identité : « Celui-ci est mon fils bien-aimé » et de l’affirmation que tout l’amour de Dieu l’accompagne en son itinéraire personnel et habite en lui pour rejoindre tous les hommes : « Il a tout mon amour ». Pourquoi réitérer ces affirmations ?

La gloire de la croix
Matthieu 17,1-9

La voix qui s’adresse aux témoins de la transfiguration prononce les mêmes mots que la voix venue du ciel au Baptême. Dans les deux cas, il s’agit d’une déclaration d’identité : « Celui-ci est mon fils bien-aimé » et de l’affirmation que tout l’amour de Dieu l’accompagne en son itinéraire personnel et habite en lui pour rejoindre tous les hommes : « Il a tout mon amour ». Pourquoi réitérer ces affirmations ? C’est qu’au Baptême il s’agissait d’investir Jésus d’autorité pour que ses auditeurs accueillent les enseignements qui allaient suivre. À la Transfiguration le contexte est différent : immédiatement avant cette image de gloire, Jésus a informé les disciples qu’il devait se rendre à Jérusalem où il serait mis à mort. Il fallait que les disciples apprennent que même là, dans l’horreur de la Passion, il restait le Fils bien-aimé et que le visage de douleur coïnciderait avec le visage rayonnant de gloire. Certes, la dimension pascale était bien inscrite dans le Baptême, comme on l’a répété, mais en quelque sorte à distance ; maintenant on est au pied du mur. À vrai dire, l’événement pascal n’apparaît directement qu’à la dernière ligne de notre lecture, mais il est sous-jacent à tout le récit. Méditons cela car nous avons beaucoup de mal à lire tout l’amour de Dieu pour le Christ et, par lui, pour nous dans l’horreur du supplice, étant bien entendu que Dieu n’est pas l’auteur de la croix, ni de nos divers déboires,mais qu’il vient nous rejoindre et nous « glorifier » partout où la vie nous met.

Le visage de lumière

Avec le visage rayonnant de Jésus, on pense forcément à Moïse descendant de la montagne où Dieu lui avait remis les « dix paroles » de l’Alliance. Au point qu’il devait se voiler le visage pour ne pas effrayer les « enfants d’Israël » (Exode 34,29-35). Paul reprend ce thème en 2 Corinthiens 3,4-18. Il explique que sous l’ancienne Loi la vérité glorieuse était voilée mais qu’avec le Christ le voile tombe. Cette lumière est contagieuse, car nous aussi c’est « le visage découvert que nous réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur ». On est passé du régime de la condamnation au régime de la JUSTIFICATION (verset 9).
Ce texte de Paul insiste beaucoup sur le caractère passager de la première Alliance. Or voici justement que le récit de la Transfiguration nous met en présence de Moïse et d’Élie, la Loi et les prophètes, figures qui récapitulent tout l’Ancien Testament. Le Christ vient accomplir, surclasser, la Loi et remplir les promesses de la prophétie. Il opère le passage du transitoire au définitif, à cet avenir représenté par les trois Apôtres, ceux-là même que l’on retrouvera à Gethsémani, au seuil de la Passion. Pourquoi seulement ces trois ? En Galates 2,9 Paul écrit qu’il est allé faire approuver son action auprès des païens par « Jacques, Pierre et Jean, que l’on regarde comme les colonnes » ; de l’Église, bien entendu ; nous sommes bien aux portes d’un avenir révélé comme lourd de gloire.

Vers l’ultime Exode

Gloire, lumière qui se lève dans les ténèbres, d’accord. Mais voici que les personnages entrent dans une nuée à la fois lumineuse et obscure, puisqu’elle les couvre de son ombre. Bien sûr, on pense à la nuée qui revient si souvent dans l’Exode pour manifester la présence divine, en particulier dans le chapitre 40, versets 32-36, l’un des passages où on la voit au-dessus de la tente de réunion. Ces multiples références à l’Exode montrent bien que nous sommes ici à la veille de l’Exode ultime et définitif, celui qui ne traversera plus le désert mais ce que ce désert représentait : la mort. C’est bien pour cela que Luc, dans sa version de la Transfiguration, écrit que Moïse et Élie parlaient avec Jésus de « l’exode qu’il devait accomplir à Jérusalem ». Comme au cours de la traversée du désert, Pierre veut dresser des tentes.Or, dresser la tente, c’est vouloir s’installer, interrompre la marche. Veut-il bloquer, ou retarder, le passage de l’ancien au nouveau ? Ouf ! Reposons-nous sur l’acquis, sur le déjà-là. Ne quittons pas le lieu où se manifeste la gloire. Là-bas, au pied de la montagne, serpente la route qui mène à Jérusalem. Pas plus qu’en Matthieu 16,21-23, donc au chapitre précédent, Pierre n’est partant pour ce voyage vers la ville qui tue les prophètes. « Dressons trois tentes. » Mais pourquoi exiger le silence sur la Transfiguration jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ? Parce qu’alors seulement on pourra comprendre que la gloire vient par la croix.

Marcel Domergue
http://www.gloire.la-croix.com

Jésus et ses témoins sur la montagne

La Parole de ce jour évoque aussi les de Moïse et d’Élie. Deux personnages fameux en Israël. Leurs interventions ont compter pour beaucoup dans l’évolution historique du peuple de Dieu. Moïse a pratiquement donné naissance de ce peuple, lors du passage des Hébreux à travers la mer Rouge. Puis il l’a accompagné dans un long périple au désert. C’est là qu’un jour sur une montagne Dieu fera alliance avec eux. Moïse faisait le lien avec Dieu. Il portait avec courage le destin d’un peuple à la nuque raide.  C’est beaucoup plus tard qu’a surgi Élie, le prophète atypique, dont la mémoire est demeurée fortement présente en Israël. Élie, l’homme de Dieu, sur la montagne, lui aussi, pour défendre la foi. Élie, le pauvre homme en fuite, assoiffée, découragée, qui appelle la mort. Restauré par le viatique que Dieu lui dispense, il poursuit sa marche au désert et fait à la fin la rencontre à l’Horeb du Seigneur de miséricorde dans une brise légère.

Ces deux témoins majeurs sont là pour nous introduire au mystère du  Christ. Accompagné de ses trois disciples préférés, Jésus était venu sur la montagne pour, sans doute, y rencontrer son Père dans la prière. Et voilà que cette circonstance est amplifiée par la vision qui s’offre aux trois disciples. Le visage de leur maître brille comme le soleil et ses vêtements sont tout en lumière. Il faut immortaliser ce moment de grâce et de bonheur. C’est ce qui vient à l’esprit de Pierre. À défaut d’une photo, il voulait apprivoiser les deux prophètes, Élie et Moïse, tous deux en compagnie de leur maître « transfiguré ». Pierre voudrait les retenir. Comme pour les fixer dans une galerie de grands hommes. Or ils ne sont là, tous les deux, que pour s’entretenir avec Jésus, pour l’encourager à poursuivre son chemin. C’est Jésus qui est important dans cette vision. Élie et Moïse disparaissent bientôt dans la nuée pour laisser toute la place à Jésus seul. C’est lui le Fils qu’il nous faut écouter et suivre. Il est l’aboutissement de toute cette longue marche au désert. Ne cherchons plus pour quelqu’un d’autre. Le Verbe de Dieu nous est donné. Et avec lui la vie, la lumière, le monde nouveau.

Par Jacques Marcotte, o.p.
http://www.spiritualite2000.com

Notre divinisation

Dans sa marche vers Pâques et Jérusalem, Jésus gravit cette montagne de Galilée. Saint Matthieu et saint Marc nous précisent : « Une haute montagne », ce qui n’est pas sans rappeler celle de l’Horeb au Sinaï où Dieu parla à son peuple.

Au Sinaï, Moïse ne pouvait regarder en face la lumière de Dieu, que les apôtres ont pu voir un instant, au Thabor, sans en mourir, au travers de Jésus-Christ, en Jésus-Christ.. La tradition chrétienne, dès les premiers temps, l’a identifiée au mont Thabor.

Les nombreux sanctuaires, qui ne sont plus que ruines aujourd’hui, nous le disent. C’est la plus haute montagne de Galilée, toute autre que la montagne sainte de Jérusalem.

C’est aussi un endroit merveilleux d’où l’on découvre la vallée fertile d’Esdrelon vers la mer et, de l’autre côté, la Terre Sainte, jusqu’au lac de Tibériade.

Jésus emmène donc Pierre, Jacques et Jean, à l’écart, selon une expression de l’Evangile, qui signifie à la fois moment de repos, moment d’intimité avec ses disciples et surtout un moment d’unité avec son Père. Et c’est là que la lumière jaillit de tout l’être humain de Jésus.

Nous devons également relier cette montagne à l’évocation d’une autre, celle du Calvaire, où Jésus a vécu les ténèbres pour apporter aux hommes la lumière du salut.

Le Christ est plénitude de Dieu, « lumière née de la lumière », qu’il unit à sa nature humaine, à son corps même, dans le mystère de son union à la splendeur divine. C’est ce à quoi il nous propose de participer, à notre tour, puisque la grâce de notre baptême et des sacrements réalise en nous cette divinisation.

La lumière qu’est le Christ est aussi dans l’obscurité de son humanité avant d’être révélée dans la lumière du matin de Pâques. » Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts » (Matthieu 17. 9).

LA LOI ET LES PROPHETES

Ce n’est qu’à partir de la Résurrection que les apôtres comprendront pleinement le sens de cet événement qui les avait bouleversés autrefois sur la montagne, sans qu’ils puissent alors en saisir toute la portée.

Au sein de cette vision glorieuse, apparurent aux côtés du Seigneur, Moïse et Elie, ces deux sommets de l’Ancien Testament, représentant la Loi et les Prophètes.

Moïse, l’homme de l’Exode vers la Terre promise, dont on ne sait où se trouve précisément son lieu de sépulture sur le mont Nébo (Deutéronome 34). Elie le Prophète qui fut enlevé au ciel (2 Rois 2. 1 à 15)

Le visage de Moïse avait resplendi d’une gloire qui venait, non pas de lui-même, mais de l’extérieur, après la révélation du mont Sinaï (Exode 43. 29), il était reflet. Au Thabor, le visage du Christ leur apparaît non plus comme un reflet, mais comme la source de lumière, source de la vie divine rendue accessible à l’homme et qui se répand aussi sur ses « vêtements », c’est-à-dire sur le monde extérieur et sur les produits de l’activité et de la civilisation humaines.

Ils s’entretiennent avec lui, (saint Luc nous le précise), « de l’exode qu’il allait accomplir à Jérusalem » c’est-à-dire de sa Passion, car c’est par delà la Passion et la Croix que cette gloire devait être donnée aux hommes, entrant dans la Terre Promise, au jour de la Résurrection.

MON FILS BIEN AIME

Partis prier avec lui, ils entrevoient sa gloire comme l’avaient découvert devenant comme le nouveau Moïse et le nouvel Elie auxquels ces prophètes du passé rendaient témoignage.

Mais surtout ils perçoivent Dieu lui-même, si l’on ose parler ainsi, reconnaissant en Jésus son Fils. Jésus le charpentier de Nazareth, le guérisseur, le prédicateur qui révèle aux foules de Galilée le sens de la Parole de Dieu.

Dans cette lumière, au Thabor, il est lui-même en même temps qu’il est le Tout-Autre, Parole de Dieu incarnée qui manifeste la splendeur naturelle de la gloire divine qu’il possède en lui-même et qu’il avait conservée dans son Incarnation, même si, sur les routes de Galilée, elle était cachée sous le voile de la chair.

Sa divinité s’est unie sans confusion avec la nature de la chair. Et la gloire divine est devenue gloire du corps assumé. Il n’est pas le Fils bien aimé, par adoption, privilège ou mission temporaire. Il l’est par nature, et cela de toute éternité.

La théologie dira, c’est son essence même, c’est sa substance. Ce que le Christ manifestait ainsi à ses disciples au sommet de la montagne, ce que Dieu ratifiait de sa Parole, n’était pas un simple spectacle, mais la manifestation éclatante de la divinisation en Lui de toute la nature humaine, y compris le corps, et de son union avec la splendeur divine. « La divinité de celui qui a prit notre humanité » (prière de l’offertoire de la messe).

NOTRE DIVINISATION

» Lumière née de la lumière, » (Confession de la foi), lumière immatérielle, incréée et intemporelle, elle est celle du Royaume de Dieu venu en Jésus-Christ dans la puissance de l’Esprit-Saint. « Je suis la lumière du monde. »

Mais il l’a promis à ses disciples comme à nous, quand il nous dit : « Vous êtes la lumière du monde. » Nous sommes ainsi un autre lui-même, c’est « notre vocation sainte, non pas à cause de nos actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. «

» Devenue visible à nos yeux parce que le Sauveur, le Christ Jésus s’est manifestée, » elle deviendra l’héritage permanent des élus dans le Royaume. Elle n’est pas seulement un objet de contemplation passagère, elle est aussi grâce déifiante qui nous permet de « voir » Dieu.

» Dans ta lumière, nous verrons la lumière » (Psaume 35. 10). Nous recevons de cette contemplation la vie divine qui est lumière et que le Christ, et lui seul, vit en plénitude. Il est la lumière de Dieu assumée en un homme, accessible aux hommes.

Il nous faut alors aller jusqu’au terme de cette affirmation et de cette réalité. Il n’est aucun geste de Jésus, aucun de ses gestes corporels, que ce soient son partage aux repas où on l’invite, son corps étendu dans la souffrance de la croix, son geste attentif aux enfants qui s’approchent de lui, il n’est aucun geste de l’homme en lui, comme en nous, qui ne puisse pas et ne doive pas participer à cette divinisation.

Nous serons semblables à lui, dit saint Jean, parce que nous le verrons tel qu’il est. (1ère épître de saint Jean 3.2) C’est là que réside la grâce sacramentelle de l’eau qui immerge le baptisé, de l’union d’amour de l’homme et de la femme qui fait jaillir la vie dans la création de Dieu, de la parole qui nous réconcilie, de l’imposition des mains qui font du pain et du vin le corps et le sang du Christ.

LA VIVRE AU QUOTIDIEN

Mais la vision a disparu. Les apôtres retrouvent le paysage de la Galilée. Mais désormais, les trois disciples ne peuvent vivre aujourd’hui Jésus que dans l’éternité de la vision divine.

Jésus est au milieu d’eux et redevient le charpentier de Nazareth, l’ami quotidien, fascinant, mystérieux, attachant.

Ils viennent de vivre en un instant ce qui est plus qu’une lumière d’espérance puisqu’ils ont découvert une autre réalité dont ils mesureront la richesse au travers du temps et de la mesure de leur pauvreté et de leur faiblesse.

Mais ils quittent avec Lui ce temps divin et dans les jours à venir, c’est à travers l’humiliation et la souffrance qui viennent pour Jésus, comme pour nous, que désormais la lumière doit briller. « C’est toi mon fils bien-aimé » a dit le Seigneur au moment du baptême de Jésus au Jourdain. « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le » leur a-t-il dit au Thabor. Cette première phrase est celle des chants du « Serviteur souffrant » du prophète Isaïe (Isaïe 42. 1 à 7 et les autres passages).

Elle est également une parole de tendresse, comme une grande lumière qui accompagnera Jésus lors de sa traversée de la mort. « Il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans la Gloire » (Luc 24. 26) dira Jésus aux disciples d’Emmaüs. Il reprendra avec eux ce qu’en avait dit l’Ecriture, comme au jour de la Transfiguration lorsqu’ il s’en entretenait de « cet exode » avec Moïse et avec Elie.

Au coeur des mystères dans lesquels nous vivons parfois, au milieu de toutes les questions qui se posent sur le sens de nos vies, sur le sens de nos souffrances, sur le sens du monde qui nous paraît souvent obscur et confus, il est bon de nous rappeler la grande lumière qui est celle du Christ, donnée visiblement, en un instant, aux apôtres à la Transfiguration.

Et qui nous est donnée et que, parfois, nous ressentons nous aussi en un instant de grâce.

Par Jacques Fournier
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