Dimanche 19 novembre 2023
Le 20 novembre sera le premier anniversaire de la béatification du père Ambrosoli, qui a eu lieu à Kalongo le 20 novembre 2022. Un anniversaire non négligeable, si l’on considère que le bienheureux Giuseppe Ambrosoli a été l’incarnation anticipée de ce que l’on peut considérer comme un bond en avant dans la conception du contenu unitaire de l’évangélisation, c’est-à-dire de sa raison d’être constitutive (annonce du Christ et libération intégrale) et de l’articulation de l’accomplissement de la mission (deux réalités qui, même dans leur distinction, ne peuvent que s’impliquer l’une l’autre).

En effet, quelle serait une évangélisation qui ne placerait pas le Christ comme priorité absolue et qui, en même temps, reléguerait la justice et le développement humain à des conséquences purement optionnelles ? Le fait est que, souvent, notre distinction des deux réalités a signifié une séparation dans la pratique.

Père Giuseppe Ambrosoli à l'hôpital de Kalongo en Ouganda.

Pourtant, le Synode des évêques de 1971, dans son document final intitulé La justice dans le monde, affirme que « l’action pour la justice et la participation à la transformation du monde nous apparaissent clairement comme une dimension constitutive (ratio constitutiva) de la prédication de l’Évangile, c’est-à-dire de la mission de l’Église pour la rédemption du genre humain et la libération de tout état de fait oppressif » (Document final, 6). Et encore : « La mission de la prédication de l’Évangile à notre époque exige que nous nous engagions pour la libération totale de l’homme dès son existence terrestre » (Ibid., 37).

L’exhortation apostolique de Paul VI, Evangelii nuntiandi (1975), a également réaffirmé ce lien étroit, affirmant qu’« il est impossible d’accepter “ que l’œuvre d’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves, tellement agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement et la paix dans le monde. Si cela arrivait, ce serait ignorer la doctrine de l’Evangile sur l’amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin» (EN, 31).

Ambrosoli, en tant que prêtre et médecin, a étroitement lié les deux réalités, sans avoir à sacrifier ni le médecin ni le prêtre, mais en sachant mettre en pratique la relation de lien intime et de dépendance mutuelle entre eux. Ce fut le premier exemple parmi nous d’une symbiose réussie. Le médecin accédait à l’âme du patient et le prêtre se revêtait d’une humanité plus concrète qui rayonnait de proximité, de respect de l’autre, de désir de transformation et de responsabilité.

En parcourant rapidement la biographie du bienheureux Ambrosoli, nous essaierons de saisir quelques éléments qualificatifs de sa personne et les moments d’actualité qui l’ont obligé à faire des choix décisifs. Nous prêterons donc attention à quelques données essentielles qui, bien que maigres, mettent en évidence la qualité humaine et spirituelle du témoin. En général, il faut dire que chez Ambrosoli, il saute immédiatement aux yeux que le Dieu auquel il croit n’est qu’amour et qu’il veut se concentrer sur la personne dans son humanité, pour soulager ses souffrances et s’occuper de ses besoins, en la restaurant dans sa pleine dignité. Pour le bienheureux Ambrosoli, il n’y a que Dieu et le nécessiteux devant lui. Cette priorité révèle que, non seulement par une certaine inclination naturelle, il fait toujours un pas en arrière pour créer de l’espace pour l’autre. Ainsi, le prêtre-médecin, en tant qu’évangélisateur, n’est plus préoccupé par la protection de son image et de son travail, ni troublé par le désir de se défendre. Ce qui est frappant chez lui, c’est que cette constante discrétion structurelle humaine, mise au service de l’amour divin et de l’amour humain solidaire, est perceptible dès sa jeunesse et applicable à toute sa vie.

Notes biographiques

  1.  De l’entrée dans l’Institut combonien au sacerdoce (1951-1955)

Giuseppe Ambrosoli est arrivé chez les Comboniens avec un parcours de formation solide qui l’a forgé et, en même temps, l’a rendu capable d’accepter d’autres développements. Sans oublier tout ce qu’il avait reçu et sans arrogance pour sa formation professionnelle, sans rigidité et sans fermetures, il est resté ouvert à l’acquisition des contenus de la formation combonienne qui lui ont permis d’affiner ses qualités humaines et spirituelles et d’exercer sa profession médicale avec créativité et autonomie.

Quand, le 18 octobre 1951, Giuseppe Ambrosoli entra au noviciat combonien de Gozzano (Novara), il avait 28 ans. Il avait déjà derrière lui une expérience éducative et professionnelle qui l’a forgé pour toute sa vie : d’abord le “Cenacolo” de Côme (1945-1950), puis l’Université d’Etat de Milan, Faculté de Médecine (1946-1951), c’est-à-dire un horizon spirituel, académique et ecclésial. L’horizon spirituel proposé par le Cenacolo était l’héroïsme. Mario Mascetti, son compagnon à l’époque du Cénacle, écrit : « Il n’a jamais débranché le circuit de la grâce, comme s’il avait pris l’habitude de vérifier à chaque instant (nous dirions aujourd’hui en temps réel) la conformité de ses actions avec ce qui plaît à Dieu ». Une spiritualité pourtant sans cesse remise en cause par la réalité. Dans le feu des élections de 1948, Giuseppe écrit : « Il ne suffit pas que les autres m’appellent démocrate-chrétien, il faut qu’ils sentent l’influence du Jésus que je porte en moi, il faut qu’ils sentent qu’il y a en moi une vie surnaturelle, expansive et rayonnante par nature ».

Même les études universitaires, avec tout l’engagement et la rigueur qu’elles exigent, à la lumière de cette spiritualité incarnée, sont exemptes de futurs bénéfices personnels et matériels : « Me mettre à l’apostolat parmi les pauvres avec humilité, me faire semblable à eux, à leur niveau, les aimer, m’intéresser à eux ». Il ne s’agit pas seulement d’une option claire pour les plus pauvres, mais aussi d’une option prise au sein de la communauté ecclésiale, qui se traduit par la capacité de travailler en équipe. Il écrit à son ami Virginio Somaini, délégué comme lui de l’Action Catholique de la paroisse de Cagno (Côme), en reconnaissant une matrice unique : « Tous deux appelés par le Seigneur à lui rendre gloire dans le domaine de l’Action Catholique, collaborons, en vivant ensemble dans la prière et dans la grâce, en échangeant nos talents, en faisant fructifier cette évidente prédilection de Dieu. Travaillons ensemble, cher Virginio, à l’Action Catholique ! Le dimanche matin, dans la propagande, j’aurai la consolation de pouvoir penser qu’un autre jeune homme comme moi, auquel je suis uni dans l’amour du Christ, fait le même travail pour le même idéal ! »

Le P. Ambrosoli était, dans tous les aspects, un “diesel”. En effet, le 18 juillet 1949, il avait soutenu sa thèse de médecine et au début du mois d’août, il se trouvait dans la maison combonienne de Rebbio (Côme) pour demander des informations. Rassuré sur la possibilité d’exercer sa profession médicale dans la mission, il partit pour Londres pour suivre le Cours de Médecine Tropicale jusqu’en août 1951. Le 5 septembre, il écrivit au Supérieur Général des Comboniens, le père Todesco, pour lui demander s’il pouvait entrer dans l’Institut et, le 18 octobre, il était déjà au noviciat de Gozzano.

L’horizon futur de la mission lui permettait d’affronter un milieu restreint comme celui du noviciat et de réussir à s’insérer parmi 51 jeunes, dont la plupart avaient entre 17 et 19 ans, habitués seulement au milieu clérical restreint. Giuseppe, habitué au monde diocésain plus articulé et à l’environnement laïc de l’université, a grandi spirituellement, en conservant son esprit vif et autonome, orienté vers la mission. Esprit intérieur, mission, professionnalisme et communauté en sont les piliers. Giuseppe ne joue jamais à être le nouveau, le “hors du groupe”, ni à se sentir – ou à se déguiser – comme le différent, le mieux préparé, le supérieur en raison de l’ascendance familiale ou de l’expérience acquise dans divers domaines. C’est celui qui sait s’intégrer cordialement, malgré les difficultés initiales, d’abord dans la communauté du noviciat, puis dans celle du scolasticat (1953). Il étudia la théologie au scolasticat de Venegono, poursuivit sa pratique médicale à l’hôpital voisin de Tradate et remplit de fréquentes fonctions d’“attaché médical” dans la grande communauté.

Il confie au Dr Aldo Marchesini, qui s’est rendu à Kalongo en 1970 pour exercer la chirurgie, que c’est le chirurgien Angelo Zanaboni qui lui a enseigné l’essentiel en un an, mais il s’empresse d’ajouter : « Mais les occasions d’apprendre se poursuivent tout au long de la vie. On peut apprendre de tout le monde, même du personnel non médical ».

Se sentant partie prenante de la communauté – frère parmi les frères – il convainc le supérieur du scolasticat, le père Giuseppe Baj, plutôt radin, de lui laisser installer le chauffage dans l’ancienne glacière du château de Venegono, en disant : « Nous devons préserver la santé des futurs missionnaires, même si en Afrique il n’y aura plus besoin de radiateurs ! Le docteur Tettamanzi Folliero, qui l’a connu alors que Giuseppe était en formation à l’hôpital de Tradate, se souvient de lui comme d’un grand dévouement dans le suivi des frères pour lesquels il avait recommandé l’admission à l’hôpital, en particulier vis-à-vis d’un évêque africain, plutôt excentrique et exorbitant dans ses demandes. Aux plaintes de ses collègues, le père Ambrosoli répondait par un sourire et une simple phrase : « Notre livrée, c’est la charité ».

Parmi les nombreuses qualités du père Ambrosoli qui le préparaient à son futur service missionnaire – et qui sont encore aujourd’hui indispensables – certaines ressortent clairement : un sens marqué de la communauté, une grande disponibilité à offrir n’importe quel service, en restant “au second rang”, la volonté d’offrir des services professionnels, en recherchant toujours le meilleur. Ambrosoli anticipe dans la pratique ce qu’il dira plus tard à sœur Enrica Galimberti, son aide à l’hôpital de Kalongo : « Essaye de faire les choses parfaitement. Mais si tu parviens à les faire bien, ne les défais pas pour les rendre parfaites : tu les abîmerais. Contente-toi de les avoir faites bien. Mais cherche toujours à atteindre la perfection ». Un concept ni piétiste, ni moraliste, ni superficiel, mais purement altruiste : pour donner le meilleur, il faut sans cesse se préparer.

  1. Une vie dans la mission – Kalongo (1956-1987)

Le prêtre et médecin Ambrosoli arriva à la mission à l’âge de 33 ans, avec un bon bagage humain, spirituel et professionnel. Il avait déjà fait ses preuves au noviciat et au scolasticat, mais c’est dans les années de mission qu’il est apparu dans toute sa splendeur. Pendant 31 ans, toujours au même endroit, depuis le 19 février 1956, date à laquelle il a mis les pieds pour la première fois à l’hôpital de Kalongo, jusqu’à l’évacuation tragique de l’institution à laquelle il avait tout donné, le 13 février 1987.

A Kalongo, il trouva un frère et une sœur comboniens très compétents : le père Alfredo Malandra et la sœur Eletta Mantiero. Grâce à eux, le premier dispensaire s’est déjà transformé en une véritable maternité. Avec l’arrivée d’un médecin, le rêve d’une école de sages-femmes commence à prendre forme. Ambrosoli a donc intégré une structure existante et l’a rendue pleinement efficace en termes de personnel et de fonctionnement.

Mary’s Midwifery School deviendra le fleuron de tout l’hôpital de Kalongo, même au prix de sa propre vie. Sa première tâche fut de mettre aux normes tous les dispensaires du Nord de l’Ouganda (Aber, Padibe, Nyapea, Moyo et Angal) et de trouver un médecin, spécialisé en obstétrique et gynécologie en Angleterre, pour obtenir l’approbation de l’école de sages-femmes auprès du gouvernement britannique, qui n’y était favorable qu’en paroles. Une théorie de noms se succéda au cours de ces années, marquée par une tout aussi longue théorie d’espoirs et d’amères déceptions : la doctoresse polonaise Lydia Wlosczyk ; le couple de médecins Remotti du Cuamm (Collegio Universitario Aspiranti Medici Missionari, aujourd’hui Médecins avec l’Afrique) de Padoue ; la doctoresse écossaise Jane Mac Shane ; le docteur Pietro Tozzi, la doctoresse Morelli, le docteur hollandais Bonnar, une doctoresse du Golfe Persique, la doctoresse Doyle, etc.).

L’hôpital prend également forme et s’agrandit progressivement, atteignant une capacité de 200 lits. Entre-temps, la renommée d’Aiwaka Madit (“grand guérisseur”) ou de Doctor Ladit (“grand médecin”) grandit et se répand dans tout l’Ouganda et au-delà, jusqu’au Kenya, à la Tanzanie, au Zaïre, à l’Éthiopie, au Soudan et même à l’Inde.

Les événements politiques qui, avec l’indépendance de l’Ouganda en 1962, étaient censés ouvrir une ère de paix et de développement, tissent au contraire une toile dont l’arrière-plan est trop changeant et souvent dramatique. En 1963, toutes les écoles primaires sont nationalisées. En janvier 1967, dix missionnaires sont expulsés, accusés d’avoir entretenu des contacts avec les mouvements de libération du Sud-Soudan et d’avoir diffusé de fausses nouvelles sur le gouvernement de Kampala, auquel ils reprochent des accords secrets avec le gouvernement de Khartoum pour l’élimination des rebelles. En 1972, six autres missionnaires sont expulsés pour défaut de documents légaux. En juillet de la même année, de nouveaux missionnaires, médecins, infirmières et enseignants se voient refuser des visas d’entrée. À la fin de l’année, 50 autres missionnaires doivent quitter le pays. En juin 1975, 16 missionnaires sont à nouveau expulsés, choisis “chirurgicalement” à des endroits cruciaux.

Entre-temps, malgré l’incertitude, Ambrosoli continue d’agrandir l’hôpital. À la fin de l’année 1972, il entreprend la construction du nouveau service de chirurgie, en remplacement des quatre petites maisons qui constituaient l’ancien service, et achève les travaux en mai 1973. Le service de chirurgie compte désormais 67 nouveaux lits. D’autres bâtiments sont construits en même temps : une grande salle pour les démonstrations pratiques, un vaste entrepôt de 13 mètres de long, un beau réfectoire pour accueillir 25 jeunes filles non qualifiées travaillant à l’hôpital, 6 petites réserves, le service médical central, etc. Un réservoir performant est également en cours de construction sur l’éperon rocheux qui surplombe Kalongo.

Le père Ambrosoli commence à se demander si, compte tenu des conditions difficiles en Ouganda, toute cette activité de construction ne semble pas humainement insensée. Ralentir un peu le rythme serait une hypothèse plausible, mais qu’il écarte immédiatement, car il ne travaille que pour la gloire de Dieu et le bien des gens. Il sait parfaitement – comme tout le monde – que l’hôpital de Kalongo est la seule structure sanitaire dans un rayon de 70 kilomètres. À la religieuse combonienne, la doctoresse Donata Pacini, qui lui fait remarquer que cette expansion entraîne nécessairement une surcharge de travail, il répond franchement et sans possibilité de réplique : « Les malades en ont besoin ».

Les statistiques de 1973 donnent une idée de l’emprise des malades sur la vie du père Ambrosoli : 44.946 consultations externes, 5.488 admissions, 885 accouchements, 1.810 visites prénatales, 632 opérations, 1.128 radiographies, 37.421 analyses de laboratoire. Et c’est le plus souvent le père Giuseppe lui-même qui opère, ou qui supervise les autres médecins en leur apprenant ses techniques, ou qui surveille les nouveaux arrivants pour que tout se passe bien.

La source secrète

Où trouve-t-il la force de poursuivre toutes ces activités et le courage de continuer en des temps si difficiles ? Le père Ambrosoli ne manque certainement pas de compétences managériales hors du commun. Mais c’est ailleurs qu’il faut chercher la source de son activité audacieuse et débordante. En avril 1973, dans une lettre à ses amis de la Caritas de Bologne, il écrit : « Il me semble que c’est précisément le moment de montrer que nous ne travaillons pas pour nos propres intérêts. Il me semble que c’est pour nous plus que le moment de demander une aide économique, c’est le moment de demander une aide spirituelle, pour que le Bon Dieu sauve le christianisme ougandais ». Ambrogio Okulu, un parlementaire acholi, a décrit cette époque dramatique dans une reconstitution posthume : « Arrivé en 1956, [le père Ambrosoli] a vécu six années de lutte politique menée par les Ougandais pour obtenir l’indépendance vis-à-vis des Britanniques. Par la suite, il a vécu sous la première dictature d’Obote et la dictature militaire d’Amin. [...] Toutes ces conditions défavorables ont poussé le Dr Ambrosoli à travailler encore plus dur et lui ont valu le respect de ceux qui détestaient les missionnaires. [...] Dans les bouleversements de l’Ouganda à cette époque, le Dr Ambrosoli a affronté avec le même courage des religieux zélés, des politiciens vengeurs et des officiers de l’armée indisciplinés. Face à eux, il n’a jamais reculé d’un pas par peur ».

Le père Giuseppe n’a pas cédé et continue à ne pas céder, parce qu’un certain nombre de points fermes guident son action. Dans une lettre au professeur Canova du C.U.A.M.M., il en énumère trois qu’il considère comme fondamentaux : « Le premier, et le plus important, est l’esprit du Christ, constitué par la volonté résolue de travailler à l’expansion du royaume de Dieu ; le second, l’esprit de sacrifice ; et le troisième, une bonne préparation technique ». Certes, il reconnaît que la chirurgie « a aussi une influence psychologique évidente sur les personnes qui la confrontent à l’inefficacité des guérisseurs locaux ». Mais le point fixe d’où tout doit partir et auquel tout doit être soumis est une déclaration écrite en septembre 1957, un peu plus d’un an après son arrivée à Kalongo : « Je dois essayer de “faire comme” le Maître lorsqu’il guérissait les malades qui venaient à lui ». Une foi christologique qui avait déjà marqué sa vie d’étudiant universitaire en charge des jeunes de l’Action Catholique à Uggiate. Déjà à cette époque, il écrivait à un ami : « Le temps précieux que nous consacrons à l’A.C. a toujours une finalité surnaturelle, et il n’y a pas de danger qu’il soit dispersé dans des choses vaines, parce que ce travail nous rapproche toujours plus de Lui, le Christ ! L’étoile polaire est donc le Christ qui est présent dans les moments les plus durs et qui le conduit à la formulation centrale de son travail d’évangélisation : Dieu est amour. Il y a un prochain qui souffre, je suis son serviteur ». Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’une concrétisation de ce qu’est l’amour. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’une concrétisation de ce qu’il écrit dans son “livre de l’âme” (journal intime) : « Je dois Te chercher seul, et dans la Croix » ; « nous devons entrer dans le cercle de la Trinité [...] et nous rapprocher un peu plus de Jésus sur le chemin de la Croix » ; « je veux accepter d’être dérangé », c’est-à-dire, comme Jésus, vivre avec les autres, sous les autres, et pour les autres. Ambrosoli précise d’emblée qu’il n’entend pas laisser la multiplicité des œuvres devenir un tourbillon extérieur, une visibilité à tout prix, un tourbillon qui l’emporte dans ses spirales enivrantes et qui, en fin de compte, le rend esclave de lui-même et de son image.

La maladie (1982) et l’évacuation de Kalongo (1987)

Il est surprenant de constater avec quel naturel le père Ambrosoli parvient à combiner une vie spirituelle, placée sous le signe de l’essentialité et de la simplicité, et un service chirurgical de plus en plus exigeant en termes de performance et de compétence. En ce sens, sa rencontre avec la spiritualité de Charles de Foucauld a éclairé son chemin, et ainsi le chemin qu’il avait pris dans sa jeunesse s’est approfondi et l’a rapproché de plus en plus du Jésus historique, l’ouvrant à “la prière d’abandon” et à l’acceptation de “l’échec bien-aimé” de Foucauld. Il écrit dans son cahier des Exercices spirituels : « Il reste que je dois poursuivre l’effort pour expérimenter la présence de Jésus dans mon cœur et me demander fréquemment ce qu’il ferait à ma place ». À son ami Piergiorgio Trevisan, il confie : « La seule déception est que, lorsque je demande à quelqu’un s’il a remarqué que j’ai changé en mieux, j’entends la réponse négative ! En tout cas, je vis beaucoup plus heureux qu’avant, même s’il y a plus de sacrifices. [...] Je remercie toujours le Seigneur qu’il y ait tant de travail, parce que nous sommes là pour ça, et c’est à travers le travail médical que nous pouvons atteindre l’âme de tant de malades. Dans ces pays, la pastorale passe toujours par le corps. Cela peut paraître étrange, mais c’est ainsi ».

Des affirmations sacro-saintes qui lui reviendront en décembre 1982, au moment du coup d’éclat de la maladie (un rein atrophié et l’autre gravement compromis, avec une fonction rénale réduite à 30%) et pendant les calamiteuses années post-Amin qui marqueront dramatiquement l’histoire de l’Ouganda. Successivement : l’époque du deuxième gouvernement d’Obote (du 17 décembre 1980 au 27 juillet 1985), le bref interrègne de Bazilio Olara Okello (27 juillet 1985) et du général Tito Okello (29 juillet 1985 – 26 janvier 1986) suivi de leur éviction, et l’entrée en scène de Yoweri Kaguta Museveni, avec l’occupation de Kampala (26 janvier 1986) et la “libération” progressive de l’Ouganda. Ce qui reste de l’armée Okello s’enfuit, soit vers le Nord, soit vers le Sud-Soudan. D’autres cachent encore leurs armes et restent chez eux pour attendre la suite des événements. Bien entendu, après la retraite et la défaite, les vaincus se livrent au pillage et au meurtre des populations du sud. Dans les régions septentrionales, les haines tribales se multiplient. Même les missions ne sont pas épargnées. Dans une chronique des pères de Kitgum, on peut lire : « Ce qui nous attriste le plus, nous et les gens, c’est que les pillards sont de notre propre tribu : “Ce sont nos enfants”, disent-ils avec découragement ». Il règne un climat de grande confusion et de peur, alors que les gens attendent l’arrivée des troupes gouvernementales pour rétablir un minimum de légalité et ramener la paix. Les conditions à Kalongo sont également dramatiques, au point que le père Ambrosoli écrit : « 1986 a été l’année la plus difficile de mes trente années à Kalongo ».

L’épilogue tant redouté – l’annonce de l’évacuation de l’hôpital de Kalongo – arrive le 30 janvier 1987. Le 7 février, un ordre péremptoire est donné de se préparer à partir. Le 13, 16 camions arrivent. Un convoi est formé : 34 voitures et camions, avec 1.500 soldats et civils. Derrière eux, les entrepôts sont livrés aux flammes, réduisant en cendres les vivres et les médicaments. De tout le matériel hospitalier, seuls 20 % ont pu être emportés.

Le supérieur général, le père Francesco Pierli, écrit une lettre émouvante au père Ambrosoli. On y lit notamment : « Pour nous tous, l’hôpital de Kalongo était bien plus qu’un simple hôpital. Il était le signe de cet amour passionné pour les gens, de cette prise en charge des blessures des gens qui constitue le plus beau noyau de notre vocation. [...] Je fais miennes vos paroles : “Le cœur souffre, mais la foi et l’espérance adoucissent tout” ».

Les déchirements éprouvés ne tuent pas l’espoir : cet exode de personnes – missionnaires, infirmières missionnaires, médecins, malades et infirmières obstétriciennes sur le point de passer leurs examens finaux de certification – est l’acte ultime d’amour et d’identification à un peuple et à une œuvre. C’est ce qui explique la décision du père Ambrosoli d’être enterré en Afrique, à côté de son hôpital. Cela explique aussi pourquoi il a voulu, au prix de sa vie, sauver l’école des sages-femmes afin de garantir les examens officiels aux jeunes filles qui s’étaient préparées depuis si longtemps. Cela nous aide à comprendre comment les mots qu’il a murmurés au moment de mourir à Lira peuvent être considérés comme le point final et la révélation sans équivoque de ce qui a animé et dynamisé intérieurement toute sa vie : « Seigneur, que ta volonté soit faite, même si c’est cent fois plus... ». Le vendredi 27 mars 1987, à 13 h 50, il s’éteint, dans la brèche, à l’âge de 64 ans.

C’est la conclusion d’une expérience spirituelle qui a atteint son apogée, parce qu’elle révèle un sens fort et profond du plan d’amour de Dieu pour toute son histoire de missionnaire. On y trouve un sens lucide de “l’heure de Dieu”, la conscience que chaque pensée, chaque effort, chaque projet humain y trouve sa juste place et sa solution. On se trouve devant le moment le plus élevé d’union avec le Dieu invoqué et l’expression la plus prégnante de l’amour envers les frères et les sœurs, désormais livrés à leur liberté et à leur autonomie. Le père Ambrosoli a définitivement scellé dans la mort ce qu’il a toujours été dans la vie : “une personne parmi les personnes”.

Toute sa vie en Ouganda a été marquée par ce double mouvement de foi empathique en la personne à côté de lui et de service médical offert dans la plus pure gratuité. Pour le missionnaire Ambrosoli, on ne peut fournir un service professionnel qui élève, guérit et sauve, sans un amour profond pour la personne ; on ne peut non plus faire preuve d’une empathie authentique, sans s’efforcer de donner professionnellement le meilleur de soi-même.

Dans sa vie, nous voyons se réaliser l’aspect fondamental de l’ecclésiologie du Concile Vatican II : « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium, 1). Une ecclésiologie également plus actuelle que jamais : la mission de l’Église s’accomplit, avant la mise en place ou l’amélioration des structures, par la primauté reconnue aux relations humaines et vécue concrètement en elles. Ces relations, à leur tour, conduiront l’Église à une relation juste avec le monde et la société, et l’amèneront à répondre avec courage et créativité aux tensions et aux changements des situations actuelles.

De la vie du p. Ambrosoli des indications pour être des évangélisateurs aujourd’hui

Passons maintenant de la biographie du père Ambrosoli à quelques-unes des valeurs qui ont fait de sa vie un témoignage évangélisateur. Nous y trouvons une étonnante consonance avec la grille de lecture que le pape François propose dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium – Sur l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui. Dans le cinquième chapitre, François indique un ensemble de valeurs qui constituent autant de lignes opérationnelles pour une mission actuelle (EG, 250-274). Dans la pratique, on ne peut pas faire de mission sans l’élaboration ou l’insertion dans un projet communautaire et sans un ensemble de valeurs qui donnent de la consistance à la personne et au groupe.

  1. « Une Église en sortie” – S’ouvrir à la diversité

Dans Evangelii gaudium, François insiste beaucoup sur la nécessité pour l’Église d’apprendre « à accepter les autres dans leur manière différente d’être, de penser et de s’exprimer. De cette manière, nous pourrons assumer ensemble le devoir de servir la justice et la paix, qui devra devenir un critère de base de tous les échanges » (EG, 250). Après avoir affirmé cette attitude de base, qui consiste en la capacité de sortir des schémas tout faits et l’urgence de se doter d’un esprit d’ouverture pour annoncer les "grandeurs de Dieu” (EG, 259), François invoque l’Esprit Saint : « Je le prie de venir renouveler, secouer, pousser l’Église dans une audacieuse sortie au dehors de soi, pour évangéliser tous les peuples » (EG, 261). Cette “sortie de soi”, dans l’écoute attentive des situations, est un don et une caractéristique qui permet d’identifier une action comme une action de l’Esprit.

De cette ouverture d’esprit à la diversité, Ambrosoli est un témoin par excellence, un exemple particulièrement probant.

En 1944, lors de sa formation en Allemagne, le jeune Giuseppe côtoie des étudiants médecins destinés à exercer dans la tristement célèbre République sociale de Salò. Dans un environnement idéologiquement hostile, il pourrait s’enfermer dans son petit monde. Au contraire, il se distingue par sa conception puriste de l’activité médicale, par son grand respect des avis contraires de ses compagnons d’armes, par le sens de la mesure et la conviction avec lesquels il manifeste ses croyances religieuses, et par sa capacité à ouvrir des espaces de sérénité et d’encouragement dans un habitat démotivé et parfois violent. Camillo Terzaghi, son compagnon de caserne, écrit : « Le soldat Giuseppe Ambrosoli faisait déjà preuve d’une profonde connaissance théologique, et les camarades se demandaient à quelle foi politique il appartenait. Cependant, même dans les discussions avec les athées les plus ardents, il se montrait conciliant, apportant sa contribution à la connaissance, ne se scandalisant pas des contradictions et défendant les principes de l’amour et de la fraternité. Naturellement, pour ce calme angélique, il était respecté et considéré, alors que d’autres croyants, pour leur intransigeance, étaient durement attaqués et même offensés ».

Le docteur Luciano Giornazzi, lui aussi compagnon de lutte de Giuseppe et d’une foi politique qui n’était pas du tout favorable à l’Église, ne peut s’empêcher de noter avec admiration la combinaison de la vie et de la parole chez lui, qui dépasse toujours le cadre purement existentiel, même si c’est pour son propre intérêt personnel ou pour les clôtures idéales ou idéologiques auxquelles il appartient. Giornazzi écrit : « Le voici qui, à la fin de la consommation de notre maigre ration, se retire sur son lit de paille et récite à voix haute quelques prières dans une indifférence presque totale. Le voici qui “gronde” certains d’entre nous, maudissant la malchance qui nous a amenés, de gré ou de force, dans ce lieu maudit. Il a un bon mot pour tout le monde et, à la fin, il parvient à calmer la colère, la douleur et l’anxiété. Je me souviens de lui lors d’une marche d’entraînement (15 km !) où il charge, en plus du sien, mon sac à dos pour mon incapacité à marcher à cause d’une douleur soudaine à un genou. Je me souviens aussi de lui quand, alors que j’étais couché à l’infirmerie (c’est ainsi qu’on l’appelait) avec une forte fièvre et incapable de bouger, il m’apportait de la ration deux fois par jour, toujours avec le sourire, toujours avec quelques mots d’encouragement (et tout cela, il l’a fait pendant environ un mois). Bref, pendant cette période, Ambrosoli a toujours été là pour tout le monde et a donné le bon exemple à tout le monde. Il était différent des autres. Il avait une vitesse supplémentaire, morale et matérielle, qui provenait certainement de sa “sérénité permanente”.

En 1946, à une époque de grande polarisation des idées et des partis – donc d’oppositions et d’exclusions – Giuseppe, militant convaincu et actif de l’Action catholique, quitte les clôtures purement confessionnelles pour constituer existentiellement une plate-forme de dialogue, de compréhension et de témoignage de valeurs vécues sans prosélytisme, mais, en même temps, sans prétention. Ce qu’il est, c’est ce qu’il vit, en ouvrant des espaces de compréhension et de collaboration toujours plus larges. Il écrit dans son carnet de 1947 : « L’apostolat de la famille est si important que je dois m’y consacrer avec détermination, en bannissant le respect humain. L’apostolat dans l’environnement : à l’école, à l’hôpital. Il ne suffit pas que les autres m’appellent démocrate-chrétien, il faut qu’ils sentent l’influence du Jésus que je porte en moi, qu’ils sentent qu’il y a en moi une vie surnaturelle, expansive et rayonnante par nature... Il faut que j’aime les pauvres et que je n’aie pas peur d’être avec eux. Je dois me mettre à leur niveau et leur apporter une bonne parole. Pour moi, l’apostolat ne doit pas être seulement ambiant, mais il doit aller vers les classes sociales les plus humbles, vers les pauvres, sans se soucier s’ils sont ouvriers ou étudiants. Me mettre dans l’apostolat parmi les pauvres avec humilité, me mettre comme eux, à leur niveau, les aimer, m’intéresser à eux ».

Cependant, c’est au cours d’une mission que la diversité devient un stimulant qui permet à Ambrosoli de passer de la compréhension à l’acceptation, puis au changement. Ambrosoli est quelqu’un qui, tout en acceptant ce qui existe, ne se contente pas de ce qui existe. Se retrouvant face à deux fortes personnalités, telles que le père Alfredo Malandra et la sœur Eletta Mantiero, les deux piliers de la mission Kalongo et de ses structures, la marge de manœuvre pour lui, docteur débutant en affaires africaines, a dû lui sembler très limitée, voire décevante. Pour survivre, il aurait pu se prévaloir d’une formation médicale bien supérieure et être ainsi à l’origine de tensions irréconciliables. Au contraire, il contribue à faire éclore ce qui, inconsciemment, était le désir profond des deux vieux missionnaires. A Kalongo, on n’est pas vaincu dans ses idées, car il est impossible de soutenir la comparaison avec un plus grand, mais on est progressivement transformé. Les rêves deviennent alors réalité : la modeste maternité de sœur Mantiero dans la savane se transforme en un hôpital de 350 lits, et la condition féminine servile est rachetée par une école de sages-femmes de renommée nationale, dont rêvait le père Malandra. En d’autres termes, Ambrosoli était un éléphant qui savait jongler avec le cristal. La mission oblige souvent à faire coexister grands projets et fragilité.

Le “petit hôpital dans les bois” – comme l’appelait Ambrosoli –, qui avait connu une croissance surprenante au fil des ans, ne se défigurait pas, même en comparaison avec l’hôpital Lachor de Gulu, l’hôpital de la capitale, donc plus central et subventionné par le gouvernement. Le rapport annuel de 1979 du diocèse de Gulu permet une comparaison utile : 5 médecins travaillent à Kalongo, dont l’un se consacre entièrement aux lépreux, tandis qu’à Lachor il y a 7 médecins, dont l’un est ougandais ; il y a 14 infirmières à Kalongo et 13 à l’hôpital de Lachor ; il y a 62 sages-femmes diplômées à Kalongo, 63 à l’hôpital de Lachor ; il y a 323 lits d’hôpital, 220 à l’hôpital de Lachor ; il y a 75 lits de maternité, 34 à l’hôpital de Lachor ; à Kalongo, il y avait 113.661 appels de patients externes, et 39.735 al Lachor Hospital. Les interventions chirurgicales majeures ont été 1.012 à Kalongo et 732 à l’hôpital de Lachor ; les accouchements ont été de 1.379 à Kalongo et 701 à l’hôpital de Lachor.

L’école de sages-femmes était le joyau de la couronne, la créature si fortement désirée et soignée par le père Ambrosoli. De 1961 à 1978, l’hôpital a formé 245 sages-femmes diplômées (sages-femmes inscrites), dont 65 de 1961 à 1967 et 180 de 1968 à 1978. Au vu des résultats remarquables, le ministère de la Santé a approuvé en 1979 un nouveau cours pour sages-femmes à un niveau plus élevé, qui n’a toutefois pu commencer qu’en 1980 en raison de la guerre. Cependant, au cours de ses 30 années d’activité, l’école de sages-femmes a formé 400 sages-femmes professionnelles, dont 40 étaient des sages-femmes diplômées avec rôle de responsables.

Ambrosoli, déjà à ce premier niveau “de la sortie audacieuse de soi”, nous pose la question de savoir si, dans notre être et notre mission, il y a cette ouverture mentale de penser au-delà de ce qui existe, avec le sain réalisme de vouloir le faire grandir avec la contribution de ceux qui étaient avant nous et de ceux qui resteront après nous. Ambrosoli nous encourage à saisir quels sont les domaines de présence et d’action où le changement est le plus urgent aujourd’hui. Exactement le contraire de ceux qui renoncent à penser et se retranchent dans l’autodéfense, dans les récriminations stériles, dans le progressif ne pas voir, ne pas entendre, ne pas questionner. Ambrosoli pose ainsi des questions incontournables sur lesquelles fonder tant de nos réflexions et de nos changements de rythme dans la mission : quelles sont actuellement les expériences significatives de mission parmi nous ? Quelles sont les expériences qui tracent un projet avec une histoire, avec des options faites et testées à travers des discernements et des évaluations périodiques ? Ses options sont encore là, à la portée de tous.

b.   Ni spiritualisme désincarné ni actions sans âme

Le deuxième aspect d’une “ évangélisation selon l’Esprit “ est de la vivre et de la proposer comme un engagement total, en associant étroitement la contemplation et l’action, c’est-à-dire la contemplation dans l’action et vice-versa. « Du point de vue de l’évangélisation, il n’y a pas besoin de propositions mystiques sans un fort engagement social et missionnaire, ni de discours et d’usages sociaux et pastoraux, sans une spiritualité qui transforme le cœur » (EG, 262), écrit le pape François. Et citant la Novo millennio ineunte de Jean-Paul II, il ajoute : « on doit repousser toute tentation d’une spiritualité intimiste et individualiste, qui s’harmoniserait mal avec les exigences de la charité pas plus qu’avec la logique de l’Incarnation » (ibid.). Séparer les deux signifierait tomber dans le vide du sens de l’action, dans l’intimisme et l’individualisme.

A l’époque où il a vécu son service missionnaire, Ambrosoli a certainement contribué à la pleine inclusion du service médical dans la pratique de l’évangélisation, qui à l’époque était comprise presque exclusivement comme l’annonce de la Parole et la célébration pratique des sacrements, en vue de la fondation d’une Eglise locale. Sans remettre en cause cette option de base, Ambrosoli, en offrant son professionnalisme médical, a contribué à élargir le concept et la réalité de l’annonce. Le service des malades, tel qu’il l’a vécu, est devenu un mode d’annonce évangélique, aussi noble et nécessaire que la prédication. Cela est confirmé par son discernement vocationnel rigoureux, en maintenant l’exercice de la médecine et l’engagement pastoral ; sa décision de choisir les Comboniens, pour la priorité de la missio ad gentes, contrairement à son premier choix des Jésuites ; la clarté intérieure de sa décision ; la décision des étapes franchies ; les délais concrets insérés dans un processus ou un cadre global prié, réfléchi, mis en œuvre. Ambrosoli n’était pas du genre à prendre des décisions hâtives et des enthousiasmes passagers, ni à agir sans réfléchir ou à réfléchir sans agir. La conviction et la pratique formaient le double aspect de ses décisions. L’action se reflétait dans des valeurs intérieures cultivées, réfléchies et longuement contemplées (fruit d’une discipline intérieure, exigeant des temps de prière, du temps et de l’espace pour l’efficacité et la réflexion) et, d’autre part, cette réflexivité intérieure et ce sérieux cherchaient leur authentification dans une praxis élaborée en commun et poursuivie avec constance, méthode et rigueur.

Dans ses notes prises au cours des Exercices Spirituels de 1974, il écrit : « Qu’ils voient Jésus en moi ! Il ne s’agit pas de faire des choses différentes, mais de la manière dont nous traitons les malades. Ils doivent sentir que le contact est fraternel à cause de la charité du Christ ». Et, en effet, le contact fraternel ne peut véhiculer la sollicitude du Christ que s’il s’agit d’un service spécifique – dans notre cas, un service médical – qui fait appel à la contribution de tous, qui est réalisé avec une préparation et une compétence soignée, et qui se réalise dans une relation empathique avec le malade, alliant ainsi respect, attention à la personne et technicité rigoureuse.

Le docteur Augusto Cosulich, de Pordenone, qui a séjourné à Kalongo de 1983 à 1985, écrit : « Ce que j’ai le plus appris de Giuseppe, c’est son efficacité dans la salle d’opération, le fait qu’il n’accordait pas d’importance à l’élégance du geste chirurgical, au fait que la lumière sur le champ opératoire n’était peut-être pas optimale ou que ceux qui vous aidaient ne le faisaient pas de la meilleure façon. Il avait l’habitude d’aller de l’avant, même s’il y avait peut-être un saignement ou si le patient n’était pas parfaitement détendu. Sa devise était d’obtenir le maximum de résultats pour le patient avec le minimum de ressources (toujours relativement rares à Kalongo). Il a pu le faire grâce à sa grande expérience qui, combinée à ses compétences professionnelles, lui a permis de comprendre immédiatement quel était le problème dès qu’il ouvrait l’abdomen du patient (il ne faut pas oublier que dans des endroits comme Kalongo, on fait encore, et pour longtemps, des diagnostics au moment de l’opération, le fameux open and see), décider de ce qu’il faut faire, et le faire le plus rapidement possible pour ne pas gaspiller plus que nécessaire du matériel chirurgical ou des médicaments anesthésiques. De ce point de vue, il était parfois même exagéré : il pouvait réutiliser plusieurs fois une gaze imbibée de sang après l’avoir essorée dans une bassine ; il utilisait les fils de suture avec une telle parcimonie qu’il serait un grand exemple pour tous ces chirurgiens italiens qui gaspillent si facilement le matériel de l’hôpital public. On me raconte que même dans les années précédentes, quand il n’y avait personne pour s’occuper de l’anesthésie, il pratiquait lui-même l’anesthésie rachidienne ou péridurale (pour cette dernière, il avait même mis au point une modification de la technique classique d’insertion de l’aiguille) juste avant d’aller chercher des vêtements stériles pour commencer l’opération proprement dite. Il faisait également preuve d’un sens pratique et d’une sagacité remarquable, toujours dans le but d’aider le patient et de minimiser les coûts hospitaliers [...]. Il était patient et très bon pédagogue, il aimait enseigner sincèrement tout ce qu’il savait, y compris les “trucs” et toutes ces petites astuces qui font la différence entre un chirurgien ordinaire et un grand chirurgien, ce qu’il était ».

Dans la vie de l’évangélisateur, le lien étroit entre l’aspect humain de la relation et le professionnalisme, que ce soit dans le domaine médical ou pastoral, exige un équilibre recherché entre la contemplation et l’action et leur nécessaire corrélation. La vraie contemplation conduit toujours à considérer un problème à résoudre ou un besoin à satisfaire comme un besoin de la personne. L’aspect personnaliste, si évident chez le père Ambrosoli, le conduit alors encore plus loin vers un service médical extrêmement compétent et minutieux. Avec sa praxis, il soulève la question de la préparation spécifique : quel type de préparation et de planification fournissons-nous actuellement face aux urgences de la mission ? Ce qui est en jeu, c’est le type de parcours de formation, une préparation non pas générique mais ciblée, et la capacité à s’intégrer et à collaborer dans un plan commun où toute compensation personnelle cachée est bannie. Ambrosoli nous fait comprendre qu’un projet commun exige une intériorité cohérente, qui à son tour exige des compétences spécifiques. Peut-être devrions-nous reconsidérer la relation entre provisionnalité, préparation et continuité, et lui demander humblement de nous éclairer !

Aux sources de son être disciple joyeux et enthousiaste

L’évangélisateur crédible de notre temps ne peut être qu’une personne « convaincue, enthousiaste, sûre, amoureuse » (EG 266). Le pape François l’identifie comme un chercheur de la gloire de Dieu (la meilleure protection du bien de la personne et la défense jusqu’au bout des petits et des sans défense), un homme ou une femme de prière (le chemin nécessaire à parcourir pour lutter et obtenir la libération intégrale). François écrit : « C’est la gloire du Père que Jésus a cherchée durant toute son existence » (EG, 267), et il est nécessaire de s’appuyer « sur la prière, sans laquelle toute action court le risque de rester vaine, et l’annonce, au final, de manquer d’âme » (EG, 259).

Il suffit de rappeler le double héritage extrêmement précieux d’Ambrosoli, que nous ne pouvons pas ne pas considérer et qui a été le fil rouge de toute sa vie : le souffle de la prière et le soupir dans la mort par l’abandon de soi à la volonté de Dieu. Avec un hôpital évacué, une école dans des conditions précaires et l’inconnu de devoir quitter l’Ouganda, il murmure avant de mourir : « Seigneur, que ta volonté soit faite, même si c’est cent fois plus ! » Le Dieu invoqué est le Dieu reconnu comme protagoniste de tout, du présent et de l’avenir. L’échec apparent peut donc bien être appelé “l’échec aimé”. Et il ne peut en être autrement pour celui qui, dès sa jeunesse, écrivait : « L’apôtre ne vaut que ce qu’il prie ». Et qui, chirurgien accompli, répétait : « C’est Dieu qui fait ». Et sur son lit de mort, il demandait : « Aidez-moi à prier ! Je veux prier ». C’est ce qu’il faisait souvent avec les malades lorsqu’il ne pouvait plus les soigner, en leur demandant de prier avec lui, en associant à la prière le personnel présent dans la salle d’opération. Le docteur Luciano Tacconi, présent à Kalongo de 1978 à 1987, a écrit : « Dans les moments les plus dramatiques d’une maladie, notre souci à nous, collaborateurs, était de nous dépêcher, parce que nous considérions que le temps pris au patient était celui que le père Ambrosoli utilisait plutôt pour le préparer à la dernière étape. Au contraire, nous avons compris que préparer un homme ou une femme à accepter la mort fait aussi partie des devoirs du médecin et reflète le respect que l’on doit avoir pour l’ensemble de la personne : corps et esprit ».

Avec une adhésion totale à la volonté de Dieu et à la prière, le docteur Ambrosoli a transfiguré son service en une annonce salvatrice. En lui s’est réalisé à la lettre ce que le pape François écrit d’un vrai héraut : « Jésus veut des évangélisateurs qui annoncent la Bonne Nouvelle non seulement avec des mots, mais surtout avec une vie transfigurée par la présence de Dieu » (EG 259). Aguerri par la mission, le père Giuseppe résumera tout cela dans sa devise inoubliable : « Dieu est amour. Il y a un prochain qui souffre, et je suis son serviteur ».

La question que nous devons nous poser, en tant qu’individus et en tant que communautés missionnaires, est inévitable : il ne s’agit pas tant de savoir si nous prions ou pour qui nous prions, mais quelle est la qualité de notre prière.

L’expérience d’être un peuple

Il y a une autre condition indispensable pour être « évangélisateurs avec esprit, veut dire évangélisateurs qui s’ouvrent sans crainte à l’action de l’Esprit Saint » (EG, 259) : « le plaisir spirituel d’être peuple » (cf. EG, 268-274). Cette condition peut se résumer ainsi : vivre la proximité, se sentir spirituellement proche des gens. Ce sont des mots qui ont une signification extrêmement concrète. La proximité englobe diverses nuances : “rester avec” quand les autres fuient ; aimer avec l’intensité d’une passion qui va jusqu’à “souffrir” ; regarder dans les yeux ; sentir le contact ; vivre l’espace sans se défendre ; être présent là où les choses se passent ; aller au-delà des apparences ; etc. Ce n’est qu’ainsi que nous acceptons « vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse » (EG, 270), car « nous atteignons la plénitude quand nous brisons les murs, pour que notre cœur se remplisse de visages et de noms ! » (EG, 274).

Le Pape François offre ici un exemple significatif de cette proximité : « pour être d’authentiques évangélisateurs, il convient aussi de développer le goût spirituel d’être proche de la vie des gens, jusqu’à découvrir que c’est une source de joie supérieure. La mission est une passion pour Jésus mais, en même temps, une passion pour son peuple » (EG, 268) ; comme Jésus, si nous parlons à quelqu’un, nous devons le « regarder dans les yeux avec une attention profonde pleine d’amour… nous réjouir avec ceux qui sont joyeux, pleurer avec ceux qui pleurent et nous engager pour la construction d’un monde nouveau, coude à coude avec les autres » (EG, 269) ; « Jésus veut que nous touchions la misère humaine, la chair souffrante des autres... que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains » (EG, 270).

Ambrosoli a fait preuve d’une capacité unique à être avec les gens en raison de la facilité qu’il avait à nouer des relations avec n’importe qui, du naturel de sa coexistence avec les personnes les plus démunies et de la générosité avec laquelle il se rendait disponible à toute demande. La patience et le sens du service, la disponibilité et le désintéressement, associés à un sourire indéfectible, ont non seulement indiqué combien il se sentait en symbiose avec les personnes qui entouraient l’hôpital, mais ont surtout constitué ce chemin de joie et de sérénité indispensable pour se sentir bien et grandir ensemble.

Dans sa “patience” proverbiale, nous touchons à l’extrême frontière de la charité du médecin missionnaire Ambrosoli : l’autre était accepté dans toute sa diversité, qu’il s’agisse de l’Africain malade, du requérant de service ou du médecin venu à Kalongo pour apprendre la chirurgie. A sœur Silveria Pezzali, qui a passé 14 ans avec lui à Kalongo et qui se plaignait beaucoup de son infinie patience, il répondait invariablement : « Comprendre, tolérer, pardonner, aimer ».

Beaucoup de ceux qui l’ont connu ont dit de lui : « Il semblait n’avoir rien d’autre à faire que d’écouter la personne en face de lui », mais c’était plutôt l’application quotidienne d’un critère intérieur qu’il avait adopté depuis longtemps : « Pour aimer, je dois porter un jugement d’amabilité sur la personne qui est en face de moi ». Le “jugement d’amabilité” était sa livrée en privé et en public, avec les Européens et les Africains, avec les gens instruits ou analphabètes. Aux yeux des gens simples, c’est un sujet sensible où il est impossible de tricher. Lino Labeja, un catéchiste de Kalongo, a déclaré : « Je n’ai jamais trouvé une personne aussi disposée à écouter que le père Ambrosoli ». Et Martino Omach, également catéchiste : « Il accueillait les pauvres, les veuves et les orphelins d’une manière très spéciale ». Il n’est donc pas étonnant qu’un autre catéchiste, John Ogaba, dans sa déposition, ait ressenti le besoin d’utiliser les mots admiratifs suivants : « Par sa façon d’accueillir les gens et de leur parler, de les conseiller et de les encourager, on avait l’impression de se trouver devant Jésus. Il avait un grand respect pour tous, mais en particulier pour les pauvres et les abandonnés ». En bref, les personnes en difficulté savaient qu’elles pouvaient compter sur le père Ambrosoli. Si, à un moment donné, sans perdre son calme et son sang-froid, il ne craint pas de réprimander, même en public, l’un de ses frères arrogants et violents, il n’hésitera pas plus tard à le défendre publiquement pour avoir été à son tour giflé par un médecin. L’admiration inégalée qu’il suscitait s’apparentait à sa douceur, sa fermeté, sa simplicité et son accessibilité proverbiales. Il ne s’imposait pas – il n’en avait pas besoin – mais il attirait tout le monde.

Le père Ambrosoli a exprimé sa “joie d’être un peuple” en voulant rester à Kalongo pour assurer son service médical, en voulant mourir parmi son peuple acholi et être enterré comme un pauvre parmi son peuple.

Dieu l’a pris pour lui, et l’Église nous l’a “rendu” en décrétant son exemplarité et sa vénérabilité. Un an après la célébration de sa béatification, nous sommes invités à reprendre la vie et les attitudes missionnaires du bienheureux Giuseppe Ambrosoli, à les connaître, à les comprendre, à les savourer et à les réexprimer dans notre vie pour le bien de la mission et de l’Église.

P. Arnaldo Baritussio, mccj
Postulateur général