La croix du Christ se dresse au-dessus de terre pour nous mettre devant les yeux le péché des hommes: voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous faisons tous les jours. Par violence directe, ou par cupidité économique, ou par ambition politique… De ce point de vue, Jésus est l’emblème de toutes les victimes que nous faisons un peu partout dans le monde, il les récapitule. [...]
Jean 3,13-17
En ce temps-là, Jésus dit à Nicodème : Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. (Jn 3, 13-17).
La Croix glorieuse
Marcel Domergue, sj
L’image du serpent
Au chapitre 12 de saint Jean, Jésus présente sa croix à venir comme une glorification et du Père et de lui-même. Pour qualifier la croix de glorieuse, il faut dépasser le scandale de cette exécution à la fois injuste et horrible. Vue hors de la foi, la crucifixion est le contraire de la glorification. Dans notre évangile, Jésus parle d’être « élevé » comme le serpent de bronze. Ce mot est à mettre en relation avec « monté au ciel » et « descendu du ciel » qui ouvrent notre lecture. En Jean 12,32, Jésus dit : « Pour moi, une fois élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». L’évangéliste commente : « Il disait cela pour signifier le genre de mort qu’il devait subir ». Nous retrouvons ici la coïncidence du plus bas et du plus haut ; et il fallait que Jésus se fasse le dernier pour devenir le premier. Parce qu’il est mis injustement au rang des malfaiteurs, il revêt la gloire de la justice absolue. Creusons le paradoxe : qu’étaient ces serpents tortueux, pour parler comme Sagesse 16,5-7, sinon l’extrapolation, le passage à l’extérieur du mal intérieur qui tuait les Hébreux, ce mal de la défiance et de la révolte envers la parole qui annonçait la libération et le salut ? Moïse affiche aux yeux de tous, l’élevant de terre sur une perche, l’image de ce mal mortel. Accepter de le regarder en face apporte la guérison. Voici que le Christ se fait « serpent » : sur la croix, élevé de terre, il affiche notre « péché ». Paul dira même : « Il s’est fait péché ». A nous de regarder celui que nous avons transpercé.
La victoire de la Croix
La croix du Christ se dresse au-dessus de terre pour nous mettre devant les yeux le péché des hommes: voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous faisons tous les jours. Par violence directe, ou par cupidité économique, ou par ambition politique… De ce point de vue, Jésus est l’emblème de toutes les victimes que nous faisons un peu partout dans le monde, il les récapitule. Mais en même temps, il meurt exécuté comme un malfaiteur, à la suite d’un procès juif et d’un procès païen. Par là, il prend figure de coupable : ce n’est pas pour rien qu’il meurt entre deux bandits et qu’il est jugé moins défendable qu’un meurtrier, Barabbas. Il fait corps non seulement avec nos victimes mais aussi avec leurs bourreaux : il « porte le péché du monde ». Seulement voilà, il occupe volontairement cette double place, et cela change tout, car le voici victorieux de la mort et de l’innocent et du coupable. Qui fuit, dans un combat, le vainqueur ou le vaincu ? Or Jésus n’a pas fui, il est allé affronter l’adversaire jusqu’à faire corps avec lui. Et c’est la mort qui a fui. « O mort, je serai ta mort », chante la liturgie. Ici la mort devient don, don de la vie. La vie donnée, la vie transmise, est vie sauve. Voilà pourquoi nous disons la Croix « glorieuse ». Gloire d’une victoire qui sans cesse sollicite notre foi et, aussi, lui donne naissance. « Pour moi, je ne me glorifierai que dans la croix du Christ », dit Paul (Galates 6,14).
La croix des chrétiens persécutés
Pape Francois
Le 14 septembre, l’Église célèbre la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix. Un non-chrétien pourrait nous demander : pourquoi « exalter » la croix ? Nous pouvons répondre que nous n’exaltons pas une croix quelconque, ou toutes les croix : nous exaltons la Croix de Jésus, parce qu’en elle s’est révélé au plus haut point l’amour de Dieu pour l’humanité. C’est ce que nous rappelle l’Évangile de Jean dans la liturgie d’aujourd’hui : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (3, 16). Le Père a « donné » son Fils pour nous sauver, et cela a comporté la mort de Jésus et sa mort sur la croix. Pourquoi ? Pourquoi la Croix a-t-elle été nécessaire ? À cause de la gravité du mal qui faisait de nous des esclaves. La Croix de Jésus exprime ces deux choses : toute la force négative du mal, et toute la douce toute-puissance de la miséricorde de Dieu. La Croix semble décréter l’échec de Jésus, mais en réalité, elle marque sa victoire. Sur le Calvaire, ceux qui se moquaient de lui disaient: « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix » (cf. Mt 27, 40). Mais c’est l’inverse qui était vrai: c’est justement parce qu’il était le Fils de Dieu que Jésus était là, sur la croix, fidèle jusqu’à la fin au dessein d’amour du Père. Et c’est justement pour cela que Dieu a « exalté » Jésus (Ph 2, 9), en lui conférant une royauté universelle.
Et quand nous tournons notre regard vers la croix où Jésus a été cloué, nous contemplons le signe de l’amour, de l’amour infini de Dieu pour chacun de nous et la racine de notre salut. De cette Croix jaillit la miséricorde du Père qui embrasse le monde entier. Par la Croix du Christ le malin est vaincu, la mort est défaite, la vie nous est donnée, l’espérance rendue. Cela est important : par la Croix du Christ, l’espérance nous est rendue. La Croix de Jésus est notre unique espérance véritable ! Voilà pourquoi l’Église « exalte » la Sainte-Croix, et voilà pourquoi nous, chrétiens, nous bénissons avec le signe de croix. C’est-à-dire que nous n’exaltons pas les croix, mais la Croix glorieuse de Jésus, signe de l’amour immense de Dieu, signe de notre salut et de notre chemin vers la Résurrection. Telle est notre espérance.
Et quand nous contemplons et que nous célébrons la Sainte-Croix, nous pensons avec émotion à nos nombreux frères et sœurs qui sont persécutés et tués à cause de leur fidélité au Christ. C’est ce qui arrive en particulier là où la liberté religieuse n’est pas encore garantie ou pleinement réalisée. Mais cela arrive également dans des pays et des milieux qui, en principe, protègent la liberté et les droits humains, mais où concrètement les croyants, et en particulier les chrétiens, connaissent des restrictions et des discriminations. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous nous souvenons d’eux et nous prions de manière particulière pour eux.
Sur le Calvaire, au pied de la croix, se tenait la Vierge Marie (cf. Jn 19, 25-27). C’est la Vierge des Douleurs, que nous célébrerons demain dans la liturgie. Je lui confie le présent et l’avenir de l’Église, afin que nous sachions tous toujours découvrir et accueillir le message d’amour et de salut de la Croix de Jésus.
Angelus, 14.09.2014
La Croix glorieuse. Plus de repli sur soi
“À l’origine du fait d’être chrétien, écrit pape Benoît, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement”. L’Évangile que la liturgie nous propose en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix suggère que Dieu veut construire avec chaque personne une relation d’amour ; il s’offre lui-même dans son Fils Jésus, élevé sur la Croix.
Lever les yeux vers Dieu suggère une vérité importante : nous sommes invités à revenir à une relation avec lui. Nous sommes invités à revenir à une relation avec Lui, à ne plus nous replier sur nous-mêmes, nourrissant d’inutiles sentiments de culpabilité et oubliant que “si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur” (1 Jn 3,19) . Levez le regard vers les étoiles (cf. Abraham et la promesse d’une grande descendance), en sachant confier tous les soucis à Dieu.
Étonnement et gratitude
Lever le regard ne doit pas susciter la peur mais la gratitude, car ce regard levé est la mesure de l’amour avec lequel Dieu aime ses enfants, dans le Fils. C’est donc la Miséricorde de Dieu qui, comme pour Nicodème, éclaire les nuits de la vie et permet de poursuivre le chemin.
Devant la Croix, il n’y a pas de neutralité
Devant la Croix de Jésus, on ne peut pas rester neutre : soit avec Lui, soit contre Lui. Un choix qui doit être fait avant toute action, car l’action du chrétien n’est rien d’autre que le témoignage de combien “Dieu nous a aimés, au point de donner son Fils Jésus”.
Fête de la Croix Glorieuse
La fête de la croix glorieuse que nous célébrons en ce dimanche nous invite à entrer dans un des paradoxes de la foi chrétienne. En effet, nous sommes conviés aujourd’hui à contempler la croix et la mort de Jésus, non comme un lieu de souffrance comme le vendredi saint, mais comme une source de vie, une source de guérison pour chacun de nous. Comme nous le dit la première lecture : « Tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, et ils vivront ! » Ce paradoxe, difficilement compréhensible pour ceux qui ne partagent pas notre foi, l’est aussi pour beaucoup de chrétiens. La foi chrétienne nous donne à contempler l’horreur du supplice de la croix pour y découvrir l’étonnante « une vie qui surgit de cet arbre qui donnait la mort » comme nous le chanterons dans la préface eucharistique.
Comment exalter la croix, dire qu’elle est glorieuse ? Comment peut se faire cette transformation d’un outil qui donne mort en un lieu où surgit une source de vie ? L’apôtre Paul nous le dit dans la 2e lecture : « Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ; il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms ».
Saint Paul nous révèle donc que l’exaltation de Jésus crucifié est la conséquence de son abaissement. Le verbe de Dieu qui partageait la gloire du Père a préféré abandonner cette plénitude pour s’enfermer, se cacher dans notre humanité pour la relever dans la résurrection après avoir souffert la mort. Dans l’incarnation du verbe se manifeste ainsi l’amour de Jésus pour nous, et l’amour de son Père qui nous le donne. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Donc, la transformation de la mort en vie, de la croix comme supplice à la croix comme source de vie, s’opère par l’acte d’amour qui animait Jésus et son Père alors qu’il traversait les épreuves de sa passion. La fête de l’Exaltation de la Sainte Croix prend une signification particulière, elle nous invite à méditer sur le lien profond et indissoluble qui unit la célébration Eucharistique et le mystère de la Croix. Chaque messe en effet rend actuel le sacrifice rédempteur du Christ. L’Eucharistie nous rappelle quotidiennement que notre salut jaillit de ce mystérieux échange, dans lequel le Fils de Dieu épouse la mort pour nous donner gratuitement part à sa vie divine.
Car l’Eucharistie, c’est la célébration sacramentelle du mystère pascal de Jésus où Jésus rend grâce pour sa propre exaltation à venir qui se réalisera dans le mystère de la croix et de la résurrection. « Faisant du pain son corps et du vin son sang, nous dit Benoît XVI dans l’homélie finale des journées mondiales de la jeunesse à Cologne, Jésus anticipe sa mort, il l’accepte au plus profond de lui-même et la transforme en un acte d’amour. Ce qui de l’extérieur est une violence brutale devient de l’intérieur un acte d’amour qui se donne totalement. » Au-delà du processus de transformation du pain et du vin dans le corps et le sang de Jésus-Christ, la pâque réalise la transformation de la violence inhumaine en don d’amour, puis la résurrection réalisera à la transformation de la mort en vie. Ce processus de transformation n’a été possible que parce que la personne de Jésus a voulu entrer dans le mystère d’amour de son Père et répondre par son amour à la violence qui lui a été faite.
« Seule l’explosion intime du bien qui est vainqueur du mal, nous dit Benoît XVI, peut alors engendrer la chaîne des transformations qui, peu à peu, changeront le monde. Tous les autres changements demeurent superficiels et ne sauvent pas. » L’Eucharistie comme nous le disions plus haut récapitule tout le mystère pascal, Jésus dans l’Eucharistie récapitule l’obéissance à son Père, il dit oui à la volonté de Dieu qui lui demande de donner sa vie pour ses frères et sœurs. De tout son être, Jésus désire vivre, de lui-même, il ne veut absolument pas mourir comme il le dit au jardin des oliviers. Mais cette obéissance qui lui coûte la vie n’est pas une simple résignation comme si, après de longues heures de lutte dans la prière pour tenter de faire changer d’avis le Père, il s’avouait vaincu. Non, c’est une obéissance amoureuse. C’est par amour du Père et des hommes qu’il dit ce oui crucifiant pour lui. C’est même une obéissance eucharistique c’est-à-dire que c’est par amour et dans l’action de grâces, qu’il dit oui au Père.
Et bien ce oui d’obéissance amoureuse et eucharistique, Jésus me demande de le faire mien pour faire jaillir la vie. Quand Jésus nous dit de faire ceci en mémoire de lui, c’est moins la répétition d’un rite que l’entrée dans son obéissance confiante envers son Père. Car suivre le Christ pour accomplir notre vocation de baptisé peut être crucifiant, et cela ne doit pas nous rebuter. En effet, nous devons voir les épreuves, que nous traversons comme autant d’occasions d’entrer davantage dans la dynamique du don et de l’amour qui en fin de compte représente la dynamique propre à la vocation chrétienne. Dieu nous a créés pour l’amour, pour une communion d’amour avec lui. La souffrance et les épreuves contribuent à cela en nous poussant à nous donner jusqu’au bout sans rien attendre en retour, gratuitement, comme Dieu l’a fait pour nous.
Ainsi la vie peut jaillir de nos croix aujourd’hui comme elle jaillit de la croix de Jésus que nous appelons désormais Croix glorieuse par cette manière de vivre d’Amour au sein de la souffrance. Et nous en avons un écho particulier dans la vie de Ste Térèse de l’Enfant-Jésus qui de son enfance à son lit de mourante n’a pas été épargner par les difficultés de la vie, mais qui chantait dans son poème vécu d’Amour :
Vivre d’Amour, ce n’est pas sur la terre
Fixer sa tente au sommet du Thabor.
Avec Jésus, c’est gravir le Calvaire,
C’est regarder la croix comme un trésor !…
Au Ciel je dois vivre de jouissance
Alors l’épreuve aura fui pour toujours
Mais exilée je veux dans la souffrance
Vivre d’Amour.
« Nous sommes invités à découvrir la simplicité de notre vocation : il suffit d’aimer », a lancé Benpît XVI hier soir aux dizaines de milliers de fidèles massés sur l’esplanade de Lourdes après la procession aux flambeaux.
Fr. Antoine-Marie, o.c.d.
https://www.carmel.asso.fr