Comme beaucoup en ce temps-là, les disciples de Jésus attendaient un nouveau leader. Un vrai chef qui rendrait enfin à son peuple sa splendeur d’autrefois. Humilié depuis des siècles par l’occupation étrangère, le pays bouillonnait d’impatience. Et si Jésus devenait le rassembleur de ce nouvel Israël ? [...]
Le croyant, irradiation de la Shekinah de Dieu
« Nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. »
Jean 14,23-29
Nous approchons des fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte. L’Évangile de ce dimanche, comme celui de dimanche dernier, nous offre un extrait du long discours d’adieu de Jésus lors de la Dernière Cène. À l’annonce de son départ, l’atmosphère se charge de tristesse. L’abattement, la confusion et la peur gagnent les disciples. Jésus les rassure, les invitant à ne pas avoir peur (cf. Jn 14,1.27), et promet que leur tristesse se changera en joie (Jn 16,20.22).
Jésus cherche à assurer la cohésion du groupe de disciples. Dimanche dernier, le Seigneur leur a confié – à eux comme à nous – le commandement de l’amour. Aujourd’hui, il offre la paix : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Notons bien : Jésus ne souhaite pas la paix, il nous la donne ! La paix qui était la sienne, il nous la transmet. Une paix si forte et profonde qu’elle ne peut être vaincue, même par la persécution.
De plus, Jésus promet un autre don : l’Esprit Saint. « Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »
À plusieurs reprises dans son discours, Jésus réaffirme cette promesse d’envoi de l’Esprit (Jn 14,16-17 ; 14,26 ; 15,26 ; 16,7-11 ; 16,13-15), ajoutant chaque fois de nouveaux détails sur la mission de l’Esprit Saint, chargé de poursuivre l’œuvre de Jésus.
C’est l’Esprit Saint qui rend solide et durable la paix du chrétien, car il est notre Paraclet – Paraklêtos en grec –, c’est-à-dire l’« Avocat » qui se tient à nos côtés comme défenseur et consolateur. Si le petit groupe désorienté des apôtres, composé de personnes humbles et sans instruction, a réussi à bouleverser l’histoire du monde, cela ne peut s’expliquer que par l’intervention d’une force divine : l’Esprit Saint !
Le discours d’adieu de Jésus tourne autour de l’annonce de son départ imminent, qui bouleverse profondément le groupe. Quatre apôtres lui posent quatre questions. Le chiffre quatre est symbole de totalité et d’universalité (comme les quatre points cardinaux). Les quatre – Pierre, Thomas, Philippe et Jude – nous représentent chacun. Les questions qu’ils posent à Jésus sont aussi les nôtres, celles que nous lui aurions posées alors et que nous continuons à poser aujourd’hui.
Nous sommes entrés dans une phase critique de « changement d’époque », encore floue, un défi inédit : stimulant pour certains, inquiétant pour d’autres. Dans notre culture occidentale, de nombreux croyants vivent cette crise comme un « hiver ecclésial » et une « nuit obscure » de la foi. L’atmosphère de cette nuit au Cénacle peut symboliquement éclairer notre présent, marqué par une apparente « éclipse » de Dieu.
1. Pierre : générosité et fragilité. La première question est celle de Pierre. À l’annonce du départ, Simon-Pierre demande à Jésus : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus répond : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. » Pierre insiste : « Seigneur, pourquoi ne puis-je pas te suivre maintenant ? Je donnerai ma vie pour toi ! »
Pierre est l’image du disciple décidé et généreux, qui aime son Seigneur mais ne prend pas en compte sa propre fragilité (cf. Jn 13,36-38). Combien de fois avons-nous fait des promesses semblables, pour ensuite agir lâchement à l’heure de vérité. Le Seigneur ne se scandalise pas de notre faiblesse. Il sait attendre : « Tu me suivras plus tard ! »
2. Thomas : volonté et incertitude. Jésus précise le but de son « voyage » : « Je vais vous préparer une place. » Et il ajoute : « Et du lieu où je vais, vous en savez le chemin. »
Thomas intervient, disciple pratique et concret, tenace et volontaire : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en connaîtrions-nous le chemin ? »
Nous aussi, souvent, voudrions que le Seigneur soit plus clair et explicite dans nos vies. Face aux nombreuses voies attrayantes, nous nous sentons souvent désorientés.
Jésus répond : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » (Jn 14,2-6). Le Père est la destination, et Jésus est le chemin pour y parvenir, par sa parole et son exemple.
3. Philippe : idéalisme et réalisme. Jésus ajoute encore : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ; dès maintenant, vous le connaissez et vous l’avez vu. »
J’imagine le groupe plutôt perplexe devant cette affirmation du Maître, se demandant quand ils avaient bien pu voir le Père. Certes, Jésus parlait continuellement du Père, allant jusqu’à dire qu’il était « un » avec lui (Jn 10,30). Mais le Père, en vérité, ils ne l’avaient jamais vu !
Alors Philippe intervient et dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit ! » (Jn 14,8-10). Philippe est, à mon avis, le disciple bon, idéaliste et simple. Nous aussi, parfois, voudrions « voir » sans médiation. Mais Jésus insiste : il faut passer par la médiation du Fils. « Celui qui m’a vu a vu le Père » ; « Croyez-moi : je suis dans le Père et le Père est en moi. »
4. Jude : pragmatisme et impatience. Le quatrième disciple à intervenir est Jude, non l’Iscariote, peut-être Jude Thaddée ou un parent, cousin de Jésus. Lorsque Jésus parle de se manifester à eux, les disciples, il s’exclame, un peu surpris : « Seigneur, pourquoi veux-tu te manifester à nous et non au monde ? »
Jude est le disciple pragmatique et impatient face au tournant que prennent les événements. Sa remarque est juste et raisonnable, dirait-on. Eux, les disciples, le connaissaient déjà et avaient cru en lui. Jésus aurait dû se manifester par des signes et des prodiges à ceux qui ne croyaient pas encore.
Ses parents lui avaient déjà dit la même chose : « Si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde » (Jn 7,3-5). C’est exactement ce que beaucoup d’entre nous dirions aujourd’hui. Nous voyons avec inquiétude diminuer le nombre de croyants, souvent tournés en dérision ou empêchés. Les valeurs évangéliques ont de moins en moins d’influence sur la société. La guerre et l’injustice se répandent… Et Dieu se tait !
Le passage de l’Évangile d’aujourd’hui présente la réponse de Jésus.
Il commence par une révélation extraordinaire : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. »
Celui que les cieux ne pouvaient contenir ; qui autrefois se contentait de visiter ses amis Abraham, Jacob, Moïse… ; qui s’était rendu présent dans l’Arche de l’Alliance ; qui avait consenti à établir sa demeure (Shekinah) dans le Temple ; qui, dans les derniers temps, était devenu “Emmanuel”, Dieu au milieu de nous… fait maintenant un pas de plus vers l’homme et établit sa Shekinah dans le cœur du croyant !
C’est quelque chose d’inouï, une réalité mystérieuse, intime et profonde, que nous n’avons peut-être pas encore bien intégrée. Saint Paul l’a très bien compris lorsqu’il affirme que nous sommes le Temple de Dieu (cf. 1Co 3,17 et 6,19 ; voir aussi 2Co 6,16 ; Ep 3,17 ; Rm 8,11).
Peut-être trouvons-nous cela trop grand pour être vrai. Ou, qui sait, craignons-nous d’être accusés de piétisme, d’intimisme ou de spiritualisme ? Et pourtant, il n’y a pas d’“Évangile” plus beau et en même temps plus révolutionnaire. Le cœur du croyant – mû par l’amour et une foi active – devient une sorte de réseau (web) de relations de communion et d’interaction entre l’humanité et Dieu.
Ne pensons pas, cependant, que Dieu attende un accueil cinq étoiles ! Il lui suffit d’un cœur simple et ouvert : une table, une nappe et une fleur fraîche ; du pain et une cruche d’eau fraîche (ou mieux encore, une bouteille de vin !) sur la table ; quelques chaises autour ; et la porte entrouverte, invitant le passant.
À chacun de nous revient la fantaisie et la créativité pour traduire tout cela en gestes concrets et en un style de vie. Alors, nous serons l’irradiation de la Shekinah, de la Demeure de Dieu, les témoins de la Résurrection !
P. Manuel João Pereira Correia, mccj
Avocat sans frontière
Jean 14,23-29
Comme beaucoup en ce temps-là, les disciples de Jésus attendaient un nouveau leader. Un vrai chef qui rendrait enfin à son peuple sa splendeur d’autrefois. Humilié depuis des siècles par l’occupation étrangère, le pays bouillonnait d’impatience. Et si Jésus devenait le rassembleur de ce nouvel Israël ? Certains l’ont pensé et l’ont même espéré, y compris parmi ses tout proches. Mais lui ne veut pas ce chemin-là. Son propos est moins de changer la politique que de changer la religion et de rendre Dieu bien plus proche. C’est alors que le vent tourne et que le ciel s’obscurcit. Et comme les nuages s’amoncellent, Jésus prépare délicatement les siens à son départ : « Je m’en vais », leur dit-il, « et je reviens ».
Partir, ce n’est pas abandonner. Il ne les laisse pas dans l’impasse. Au contraire. Partir ouvre une brèche et crée un espace. Partir engage à prendre le relais et à poursuivre l’histoire. Partir pousse à la nouveauté et à l’imagination. Souvent, lorsque quelqu’un part, on lui offre un cadeau d’adieu. Ici, à l’inverse, Jésus donne un présent à ceux qui restent : la paix. Pas n’importe laquelle. Pas seulement la paix « à la manière du monde », le bien-être, la santé, la sécurité… Pas même la paix à la manière sémite, la shalom, qui signifie un état de plénitude et d’accomplissement. Mais une troisième paix, plus secrète et plus intérieure. Une paix capable de traverser les terribles turbulences de l’actualité. En donnant « sa » paix, Jésus ne promet pas la tranquillité à ses disciples mais il leur fait un don d’abandon à Dieu. Dans cet abandon-là, s’ils y consentent, ils connaîtront la joie.
Ainsi il s’en va. Oui, il s’en va, « mais pas sa respiration » écrit Jean Grosjean. Il s’en va mais un nouveau Paraclet prendra le relais.
Le Paraclet, c’est le défenseur, du grec parakletos, celui qui est appelé auprès d’un accusé lors d’un procès. L’avocat de la défense, que saint Jean est seul à évoquer et dont il parle à plusieurs reprises.
Le Paraclet apparaît aussi, dans un second sens, comme le Consolateur, le Secourant, le Réconfortant, celui qui exhorte et stimule les disciples quand les vents sont contraires.
Mais le premier Paraclet, c’est Jésus lui-même, bien entendu, lui, l’avocat de la femme adultère, le conseil de Marie-Madeleine, le défenseur de l’Enfant Prodigue. Dieu sait qu’il a été Paraclet en Palestine ! Et qu’il n’hésitait pas à monter à la barre du Temple ou de la synagogue pour plaider la cause des délaissés et des déshérités.
Mais l’avocat nazaréen sait bien qu’il doit nommer un successeur qui prendra le relais. Alors il plaide auprès du Père pour qu’il envoie, de sa part, un nouveau Défenseur au barreau de l’Évangile : le Souffle sacré. Ainsi, la parole nazaréenne qui les avait tant bouleversés ne va pas partir avec lui. Le nouvel Avocat est chargé de souffler sur le texte pour que les disciples s’en souviennent et continuent à en vivre.
S’attacher au Messie aujourd’hui, l’aimer, garder sa parole… c’est entrer dans son texte, pénétrer son récit, en faire cette humble demeure palestinienne où Père et Fils viennent au rendez-vous. Mais pour cela, il faut pouvoir compter sur l’assistance du Souffle sacré. Sa respiration inspire et jette un pont entre le temps de l’oralité et celui de l’écriture. Et c’est lui, ce nouvel Avocat sans frontières, qui va se tenir à nos côtés sous toutes nos latitudes. Et s’il arrive, comme il se peut, que nous soyons appelés au tribunal quand nous tentons d’actualiser le récit, il nous dira à son tour : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. » Et son souffle sacré nous encouragera plus encore à rafraîchir le texte.
Gabriel Ringlet, prêtre et écrivain
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